SAMEDI 30 AVRIL 2022
SAMEDI 30 AVRIL 2022 - A’haré Mote – אחרי מות - L’être et l’objet dans leur rapport à D_ieu
A’haré Mote – אחרי מות
L’être et l’objet dans leur rapport à D_ieu
La Paracha A’haré Mote (Lévitique 16 :1 – 18 :30) s’ouvre sur le verset suivant : « L’Eternel parla à Moïse, après la mort des deux fils d’Aaron qui, s’étant avancés devant l’Eternel, avaient péri. » Faisant ici référence à l’épisode de leur mort qui est intervenu plus haut - dans la section Chémini - (10 :1-7), la Torah déroule ici le « programme » pour qu’un épisode aussi fâcheux n’ait plus lieu. En effet, Nadav et Avihou, au huitième jour de l’inauguration du Tabernacle, mus d’une ferveur entrainante, ont alors « pris chacun son encensoir, y ont mis le feu, sur lequel ils ont placé l’encens, et ont approché devant l’Eternel un feu étranger qu’il n’avait pas ordonné » (10 :1). « Devant l’Eternel » signifie qu’ils ont pénétré le Saint des Saints, qui est le lieu le plus sacré du sanctuaire et c’est là-bas qu’ils ont approché leurs encensoirs. Suite à cela, ils ont été frappés d’un feu, « sorti de devant D_ieu » (10 :2), qui les a emportés.
Les avis des sages pour comprendre la rigueur divine sont nombreux. Toutefois, en s’en tenant aux versets, leur erreur fut « d’avoir approché un feu étranger. » Et c’est donc dans ce contexte que la Paracha s’ouvre sur l’ordre donné à Aaron « de ne pas venir à tout moment dans le sanctuaire… afin de ne pas mourir. » « Désormais » ce n’est qu’avec la nuée – des encens, celles dont le Grand-Prêtre doit être muni, et seulement un jour dans l’année, à Kippour – que D_ieu se manifestera au-dessus de l’Arche sainte et agréera la présence du prêtre venu obtenir le pardon pour le peuple. C’est cela, la corrélation entre d’une part, la mention de l’épisode de la mort des fils d’Aaron et d’autre part, l’interdiction « de pénétrer à tout moment » dans le Saint des Saints.
Toutefois, une discussion intervient entre deux Maitres. Elle est citée dans le premier passage du Yalkout Chimoni sur la Paracha. Et nous verrons qu’il faut encore plus aiguiser le regard pour saisir la portée de cet épisode et les conséquences dont il est porteur. C’est que toujours, il convient de dégager un message actualisé de ce que la Torah nous révèle.
La précision que ces maitres apportent tient compte des nuances de langage employés par la Torah. Nous sommes, dans les versets, en présence de deux aspects de la faute. Ainsi dans le Saint des Saints se trouvent deux présences étrangères : celle des personnes – les prêtres – et celle des objets – les encensoirs. Les fils d’Aaron ont approché un feu étranger et se sont rapprochés du lieu le plus sacré. On aurait pu penser que l’erreur fut la présence conjuguée de ces deux entités étrangères - l’être et l’objet - mais nos Sages démontrent, à travers leur étude des versets, qu’un seul de ces deux facteurs fut décisif pour leur mort. Rabbi Yossi le Galiléen considère que c’est le fait de s’être approché (קריבה) qui leur fut fatal, non le fait d’approcher (הקרבה). Le verset au début de notre Paracha corrobore cette opinion puisqu’il y est écrit : « s’étant avancés devant l’Eternel » (קריבה) (Lev. 16 :1). Rabbi Akiba quant à lui met en opposition les deux versets, celui relevant la présence des personnes (16 :1) avec celui blâmant celle des objets (10 :1). Pour se tourner enfin vers un troisième (Nombres 3 :4) qui les condamne pour la présence des objets étrangers en ce lieu sacré (הקרבה). Il y a là deux positions et il convient de saisir le message que chacune recèle.
Proposons. Cette étude permet de réfléchir sur le rapport que l’être humain est en droit d’entretenir avec le divin. On peut voir, dans la position de Rabbi Yossi, le droit pour l’homme de présenter à D_ieu l’objet qui lui a paru approprié : l’acte réfléchi, la pensée épurée, le geste authentique. Quand bien même ceux-là, dans l’absolu, ne pourraient prétendre « convenir » à D_ieu, éloge est faite à la démarche de produire quelque chose. Toutefois, il est un écueil, celui de trouver légitime, avec l’élan de l’objet présenté, de se présenter devant D_ieu, c’est-à-dire de considérer l’être - sa personne - comme étant désormais en mesure d’accéder à une place auprès du divin. Or en réalité, l’Homme ne peut que produire quelque chose. Ce qui en est de l’être qu’il est n’est que la conséquence de ces choses qu’il a produite. Il doit donc faire preuve de pondération quant à la notation qu’il est d’accord de s’octroyer. Ne serait-ce qu’eu égard à la « matière trouble » dont il est constitué. Ne pas faire cas de sa condition équivaut à franchir une frontière, au-devant d’un futur inconnu, sans que l’on y soit contraint.
Rabbi Akiba quant à lui, porte un regard différent. En tenant compte de l’aspect factuel de l’Homme qui, pétri de matière et d’esprit, est fatalement, dans l’absolu, en dehors de toute légitimité de présence auprès du Très-Haut, il a droit, pour cela justement, à se présenter devant D_ieu. En effet, l’Homme est faute. Il est faute car celle-ci est inhérente à son être matériel et est intrinsèquement liée à sa constitution. Vu ainsi, il peut prétendre dire à D_ieu : Voici, je suis tel que Tu m’as fait. Evidemment, il ne s’agira pas de s’avancer, à l’état brut, et prétendre avoir sa place. Un travail sérieux et continu devra être opéré sur soi pour tenter « d’éclaircir sa matière trouble » mais, celui-ci ne hissera jamais l’être à la hauteur des anges par exemple, pour se prétendre désormais digne. Il est donc absolument nécessaire de compter sur l’indulgence de D_ieu qui sait tel qu’Il nous a fait. Et c’est justement cela qui autorise la légitimité pour l’homme de s’approcher devant D_ieu.
En revanche, les choses produites – les pensées, les actes, les objets –, c’est avec elles que l’on doit faire preuve de prudence. Celles-ci en effet ne sont pas créés originellement. Il n’existe pas d’action existant seule, par exemple ; pas de pensée totalement libre, libre de toute attache. Nos pensées et nos actes sont le fruit du labeur de l’Homme, le produit de son être. A savoir ici : des entités auxquelles l’être humain aura donné vie et qui sont l’expression de son être. Ce produit-là, n’est pas l’œuvre divine. Comment alors prétendre l’approcher de D_ieu car l’ayant jugé digne de cela ? N’est-ce pas arrogant de considérer les objets que nous produisons comme admissible dans le périmètre du Créateur ? Voilà pourquoi Rabbi Akiba aura pu voir – « aura pu voir » et non « aura vu », eu égard au fait que cette explication, qui n’est que le produit de celui qui tient la plume doit commencer par appliquer à elle-même l’humilité qu’elle prône – l’irruption de l’objet-étranger comme plus grave que celle de l’homme-étranger.
En conclusion, parce qu’il ne s’agit pas de trancher entre ces deux positions, on aura pris une vaste leçon d’humilité : tant au niveau de l’être qu’à celui de l’objet, on sera toujours tenu de produire « la meilleure version de soi. » Et douter du résultat pour encore le parfaire. Mais l’on se gardera de juger aboutis la forme que l’on aura su prendre et celle que l’on aura donnée aux produits de notre être. Ce jugement n’est pas de notre ressort. Seul l’effort de faire « un peu plus, un peu mieux » est ce qui nous appartient.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat