SAMEDI 25 DÉCEMBRE 2021
SAMEDI 25 DÉCEMBRE 2021 - Chémot. Une question qui ne tue pas
Une question qui ne tue pas
La Torah réussit cet exercice d’équilibriste qui permet de combiner la lecture traditionnelle du texte, celle qui définit son cadre, avec la liberté de l’interroger sur sa signification, quand bien même cette interrogation serait à la limite de l’impertinence. Les Grands de la nation ont eu cette audace, et la Torah, la force de rapporter leurs questionnements. C’est entre autres une réaction de Moïse à la parole de D_ieu, dans la Paracha Chémot (Exode 1- 6 :1) qui permet d’affirmer cela.
Lors du fameux épisode du buisson ardent, durant lequel D_ieu missionne Moïse, qui s’en était approché, de « faire sortir Mon peuple, enfants d’Israel, d’Egypte » (3 :10) nous assistons à un véritable dialogue entre le Divin et l’humain. Moïse, qui d’abord refuse par humilité de s’affranchir de sa mission en disant « qui suis-je pour aller vers Pharaon, vais-je faire sortir les enfants d’Israel d’Egypte ? » (3 :11), ce qui en soit peut paraitre audacieux face à Celui qui « sonde le cœur et analyse les reins » (Jérémie 17 :10) pousse le curseur plus loin encore. Alors que D_ieu dit « Et ils [les Hébreux] écouteront ta voix » (3 :18) et qu’Il affirme qu’il « donnera la grâce de ce peuple aux yeux de l’Egypte » (3 :21), « Moïse répondit et dit : « Et ils ne me croiront pas et n’écouteront pas ma voix car ils diront : D_ieu ne t’est pas apparu » (4 :1). De la part de celui qui va devenir « l’homme le plus humble parmi les hommes » (Nombres 12 :3), cette question semble pour le moins étonnante. Et les commentateurs vont évidemment s’y arrêter (Or ha’Haim, par exemple).
Malgré le niveau élevé d’impertinence de cette question de Moïse, elle n’atteint pas celui de cette autre question posée par le père-fondateur de la foi juive, Abraham, dans le contexte suivant. Alors que D_ieu lui fait part de son intention de frapper Sodome et Gomorrhe pour leurs iniquités érigées en institutions, Abraham, qui entame la négociation sur la base du nombre de justes présents dans la ville, ne se suffit pas de dire à D_ieu : « Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de la même façon ! » il verbalise sa pensée de cette question : « Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique ? » (Genèse 18 : 25). Sous-entendre l’iniquité de D_ieu, ne serait-ce pas une hérésie ? Assurément, sinon que les mots sont écrits dans le texte, il eut été blasphématoire d’insinuer tel doute à propos de Celui dont « les voies sont la justice même » (Deutéronome 32 : 4).
Evidemment, c’est la réponse de D_ieu qui est attendue, ou sa réaction plutôt, face à des exclamations aussi audacieuses. Contre toute attente, non seulement ces impertinences ne sont pas recadrées mais D_ieu accueille les questions puisqu’Il y répond. A Abraham, en acceptant d’épargner la ville si cinquante justes s’y trouvent ; à Moïse, en lui fournissant la preuve qui lui permettra d’acquérir la confiance demandée : son bâton se transforme en serpent. Et bien que, selon Rachi, c’est pour lui signifier « qu’il s’est saisi de l’expertise du serpent » en ayant « soupçonné des personnes intègres », ce qui équivaut à de la médisance (Cf. sur Exode 4 : 2 et 3), cette explication qui est Midrashique n’écarte pas le sens littéral de l’Ecriture qui entérine le questionnement et y apporte une solution.
A ce stade, il convient de notifier une mise en garde qui fait toute la différence. Une ligne de crête sépare le croyant du mécréant et constitue la frontière entre la recherche de la vérité et le basculement dans l’hérésie. Elle est contenue dans un mot, récurent dans ce texte, et fondatrice, dans son concept dans toute la démarche Talmudique : la question. La Torah n’est pas une foi à embrasser aveuglement mais un texte à étudier, à questionner. « D’où (sont issues) ces paroles-là ? » sont les mots qui ouvrent le débat Talmudique. La question est donc à l’origine de l’éveil et du mouvement. Ce qui n’appartient pas à l’étudiant, du moins pas au début de son étude, c’est la réponse. Le droit de poser une question n’est pas celui d’y répondre. C’est dans l’analyse même du texte que se situe la solution, pas dans l’esprit, aussi sagace soit-il, du questionneur. Ceci ne l’écarte pas du droit de réponse mais le conduit à ce droit de manière pondérée et honnête. C’est donc après avoir objectivement débattu, après avoir confronté les idées les unes aux autres en s’étant effacé du débat, qu’il appartient à l’étudiant, lorsque la conclusion émerge du texte lui-même et/ou de la logique pure, de relever la réponse qui s’impose dès lors.
Abraham et Moïse ont tracé cette voie. D_ieu leur a donné raison ainsi qu’à tous les autres qui leur ont succédés. Les Décisionnaires ont poursuivi ce chemin et ont permis l’établissement de règles relatives à la manière d’aboutir à la Hala’kha (loi juive), à la marche à suivre, littéralement. Mais, ainsi que le disait l’un de mes Maitres « on ne meurt pas d’une question », si la réponse n’apparait pas, on se gardera des conclusions qui, alors, ne sauraient être qu’hâtives.
En guise de conclusion, une question. Sur un verset tiré de Jérémie (16 :11), le Midrash fait dire à D_ieu : « Pourvu qu’ils – Israel – m’abandonne mais observe ma Torah » (Ei’kha Raba, préface). A priori c’est une affirmation paradoxale puisque l’observance de la Torah transite par l’acceptation de D_ieu qui l’a donnée. Posons-nous la question. Est-il possible de comprendre « l’abandon de D_ieu » par l’abandon du modèle béatifié et imposé du divin au profit de « l’observance de la Torah » qui elle, humanisée dans le geste - puisqu’elle demande de le faire -invite à l’analyse de l’étudiant des textes qui y mènent ? Rien n’est moins sûr. Mais… faut-il être sûr pour poser une question ?
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat