SAMEDI 26 FÉVRIER 2022
SAMEDI 26 FÉVRIER 2022 - ayakhèl – ויקהל - La « force tranquille » des femmes
Vayakhèl – ויקהל
La « force tranquille » des femmes
Le sujet de la place de la femme dans la Torah est un sujet brulant. Le point commun entre les différentes réactions qu’il suscite, entre s’insurger, interroger ou soutenir, c’est de passionner. Si l’on vit un tant soi peu dans la réalité et que l’on accepte objectivement de questionner la Torah sur la place qu’elle accorde aux femmes, l’on est forcé d’admettre que celle-ci n’est pas évidente. Toutefois rappelons un point primordial : la Torah est un tout, et ce tout est sublime. Les détails eux, doivent être analysés objectivement, froidement pour permettre d’aboutir aux conséquences, dont il faudra tenir compte lorsque la chose possible, ou de garder la question lorsque ça ne l’est pas. Mais il ne s’agira pas de gommer un détail de ce tout qu’est la Torah. Parce qu’il ne nous appartient pas de réformer ce texte divin et les conséquences que les Sages en ont extrait. C’est ainsi que l’on se gardera des positions extrémistes évidemment « faciles » comme peuvent l’être les choix manichéens. On ne se complaira pas, d’une part, d’une lecture angélique qui annulerait, par nécessité, les questions que l’on se poserait. Mais on ne retirera pas non plus, d’autres parts, quelque partie de ce tout au nom des questions, aussi vraies soient-elles. C’est que ce tout est divin.
Ce préambule méritait sa place ailleurs parce que, justement, le péricope Vayakhel (Exode 35 :1 – 38 :20) met les femmes à l’honneur en les citant à plusieurs reprises. Pour la fabrication du Tabernacle, elles ont pris une part intégrale dans la réalisation des ouvrages d’art et d’artisanat (Cf. 35 :25, 26 et 29) et auparavant elles ont offert leurs bijoux en or (35 :21). On peut rajouter : cette fois-ci, elles les ont offerts. Car ailleurs, lors de la faute du Veau d’or, les femmes ont refusé de donner leurs boucles d’oreilles qu’Aaron demandait justement d’elles, ce afin de ralentir le projet « car les femmes sont attachées à leurs bijoux », et ce sont donc les hommes qui ont retiré les boucles de leurs propres oreilles et les ont données à Aaron (Cf. 32 :2 et 3, avec le commentaire de Rachi). Un grand maitre médiéval, Rabénou Ba’hyé explique même dans ce sens ce verset de l’Ecclésiaste « […] un homme, parmi mille, j’ai trouvé, et une femme dans tous ceux-là, je n’ai trouvé » (7 :28) – verset qui semble accabler les femmes - que « ceux-là » parmi lesquels il n’a trouvé de femme fait référence à la déclaration faite devant le Veau d’or « Ceux-làsont tes dieux, Israel, qui t’ont fait monter d’Egypte » (Exode 32 :4). Aucune femme n’a donc pris part à la faute ni en transmettant ses bijoux, ni en exprimant sa reconnaissance face à l’objet.
La question qui se pose est de comprendre pourquoi. Pourquoi les femmes se sont-elles abstenues de donner leur or pour le Veau alors que pour le Tabernacle, elles se sont empressées de le faire ? Il n’y a rien d’étonnant dans le parallèle qui est fait car, nous l’avons déjà vu, l’ordre de fabrication du Tabernacle a été donné en réparation à celle du Veau d’or. Les enfants d’Israel ayant voulu, selon nombre de commentaires, appréhender le Divin à travers une interface « saisissable », ils ont fabriqué le Veau qui aurait été comme une sorte de GPS sur terre de la volonté divine. La faute a résidé dans ce fait que ce fut une entreprise individuelle ; et la réparation, par conséquent, un ouvrage où le respect des détails commandités par l’Eternel, la condition sine qua non à sa réalisation. Cette interface-là, ainsi conçue, « autorisait » D_ieu à y implanter une part de sa résidence. Toutefois, qu’est-ce qui a motivé le choix des femmes à donner pour l’interface-Tabernacle et non pour l’interface-Veau ? Il est trop simple de répondre sur la base de la différence entre « ce qui est bien » et « ce qui ne l’est pas. » Le « discernement supplémentaire » dont elles sont dotées (Cf. Talmud Nida 45b) suffirait-il à expliquer leur choix ? Peu satisfaisant pour qui souhaite les choix des êtres humains éclairés.
Il semblerait qu’il faille chercher la réponse dans l’un des points qui, le plus, exprime la différence entre la femme et l’homme : la posture. L’homme se réalise dans le mouvement alors que la femme trouve sa réussite dans la stabilité. On le voit dans la relation intime. Mais également dans ce que l’homme est qualifié de « conquérant » (Midrash Raba Béréshit 8 :12), d’être « en recherche » (Talmud Kidouchin 2a) tandis que la femme est comparée à « la maison » (Talmud Yoma 2a), ou encore à « la muraille » (Talmud Yébamot 62b). Il n’y a rien de péjoratif dans ces qualificatifs, il faut tâcher d’en extraire la substance. Certes l’émancipation de la société nous mène à reposer les questions, à nuancer les propos, mais évidemment pas à faire le rejet de ce qui, petitement, dérange. (Ce ne sera toujours que petitement que l’Homme s’étonnera de la Volonté « grande » de D_ieu.) De toutes façons, l’objectif de ces textes est bien plus de saisir ce que la Torah exprime pour la société que de rendre complaisant son message au motif de ne pas heurter « la bien-pensance. » Et c’est probablement là le pivot de sa force qui lui a fait traverser les temps et les civilisations pour qu’elle, la Torah, continue de nous parvenir avec un message actualisé, sinon actuel.
Sur la base de ce paradigme, on peut saisir pourquoi les femmes ont choisi le Tabernacle au Veau. Le Veau aurait été l’objet à suivre, le mouvement vers l’inconnu, l’expérience de « s’essayer à. » C’est le pari de l’homme, c’est sa vocation aussi, mais c’est un pari risqué. Le mouvement peut faire oublier l’objectif et concentrer le regard sur lui. D’autant plus lorsque le Veau « contient le souffle de vie » (Cf. Rachi sur 32 :5), ce qui lui confère encore plus une liberté de mouvement qui lui serait propre. Serait-ce pour cela aussi que Moïse dût briser les Tables de la Loi, la stabilité des lois ayant été ébranlée par l’entreprise hardie mais aussi hasardeuse du mouvement ? La question qui reste en suspens est aussi indication.
Le Tabernacle, quant à lui représente l’expérience stable (aux antipodes de l’immobilisme), c’est la « Maison de D_ieu » ; ici la répétition du rituel oblige à se réaliser dans l’approfondissement. Même la colonne de fumée qui s’élève de l’autel demeure imperturbable face au mouvement du vent (Maximes des Pères 5 :5). Dans ce lieu défini, déterminé, stable, D_ieu « peut » accroitre sa présence sur terre, ce lieu où les « Tamid se font selon leur ordre et les Moussaf selon leur loi » (Catégories d’offrandes. Le Tamid, dit « toujours » était sacrifié tous les jours, matin et soir. Le Moussaf, c’est « l’ajout » lié aux circonstances. Cf. prières de Néoménie et des Trois Fêtes). Le rituel a ceci d’avantageux sur le mouvement aléatoire : il garantit le résultat puisque le fait est là. C’est certainement l’esprit du pilier du « service » sur lequel le monde repose (Maximes 1 :2) : le respect de l’ordre, de la place et du temps. C’est le point d’ancrage qui permet aux deux autres piliers, ceux de la « Torah » et du « déversement des bienfaits » de se permettre d’être « imaginatif. » Voilà l’idée du Tabernacle, voilà l’interface stable qu’il a été. Ici la femme est plus qu’ailleurs en phase avec elle-même. On comprend donc pourquoi, pour elle, contribuer de ses biens et de ses mains à une telle interface correspond à ses enjeux. C’est volontiers qu’elle se détache de ses boucles pour les dédier à une telle entreprise.
Ce texte est une invitation à la réflexion et à l’élargissement de la pensée. Pas à l’imposition d’un dogme patriarcal. D’ailleurs le féminisme coûte que coûte est aussi une aberration puisqu’il ne pense la société qu’à travers ce prisme. Il faut avoir l’audace de consulter une pensée que certains trouvent dépassée. Et finalement la force d’adhérer à un système qui donne à la pensée multiple ses lettres de noblesse : la force de considérer primaires ses pensées premières.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat