Ginette Kolinka, ancienne déportée : "Ils ont assassiné des millions de gens simplement parce qu'ils étaient juifs"
Dans l'amphithéâtre du lycée Daudet, ce mardi 18 octobre 2022, Ginette Kolinka, 97 ans, parle au présent. Avec calme et précision. Comme si les faits étaient là, encore, juste devant elle, hantant sa mémoire. Il y a ce jour du 13 mars 1944 où elle travaille à Avignon, en zone libre, là où la famille (juive et communiste) s'est réfugiée. "Le soleil commence à chauffer. C'est l'heure d'aller déjeuner. On est trois. Mais je commence un régime, alors je n'y vais pas. (...) Puis finalement, les filles me racontent ce qu'elles ont mangé. J'y vais. Je ferai mon régime demain. J'arrive à la maison. Je ne vois rien de spécial. Quand j'ouvre la porte, il y 3 messieurs. Et sur la gauche, je reconnais deux personnes avec l'uniforme de la Gestapo. Mon frère et mon neveu sont eux aussi rentrés pour déjeuner, avant de reprendre l'école. Ils n'y sont jamais retournés."
Dans le public, venu entendre le témoignage de l'une des dernières déportées et passeuses de mémoire encore en vie, le cœur se noue. On n'entend pas un bruit. On boit le récit limpide de Ginette, qui, cette année-là, n'a que 19 ans. Le passage à Drancy, avec des déportés de tous âges, "bébés, enfants, personnes âgées, tous les représentants de l'humanité". Les wagons de marchandise dans lesquels on s'entasse, dans lesquels on urine. L'arrivée à Auschwitz - Birkenau : "On propose à ceux qui sont âgés ou malades de monter en camion pour éviter la marche jusqu'au camp. Je dis "Papa, Gilbert, vous pouvez prendre le camion. J'étais contente, ils m'ont écouté." Le camp. Les barbelés, les miradors. Le tatouage -numéro 78599-. Et les questions aux déportées qui sont là depuis un moment: "Qu'est-ce qu'on a fait de ceux qui sont montés dans les camions ? Elles nous montrent la fumée de la cheminée. Elles nous apprennent qu'on ne les verra plus et que cette fumée, cette odeur, c'est leur corps qui brûle. Papa, Gilbert, Jojo. (...) Pour moi, j'ai envoyé Papa et Gilbert à la mort. Mais en même temps, ils ont évité des souffrances terribles. Ils ont assassiné des millions de gens simplement parce qu'ils étaient juifs."
« Comment trouvez-vous ces deux enfants ? Selon vous, sont-ils normaux ? Pour un monsieur qui s’appelait Hittler on n’était pas normaux car nous étions juifs », lance en guise d’introduction Ginette Kolinka, 97 ans, en montrant des photos de son frère et de son neveu. Née en 1924, cette Parisienne de 18 ans est arrêtée avec sa famille en zone libre à Avignon avant son transfert à Drancy, lieu de transit pour le camp de concentration Auschwitz-Birkenau.
« Les nazis disaient qu’on allait dans un camp de travail, poursuit la passeuse de mémoire de la Shoah. On doit monter dans un train de marchandises composé de wagons vides. Les portes sont verrouillées, nous sommes entassés dans l’obscurité. Pendant trois jours et trois nuits, l’odeur est une infection avec la saleté et les excréments. »
Avec précision et clarté, Ginette Kolinka déroule son témoignage poignant. « Le camp est composé de baraques à perte de vue. Je suis étonnée car elles sont entourées de barbelés et de miradors. On s’est retrouvés nus dans un bâtiment avec un numéro marqué sur le bras à prendre une douche brûlante puis glacée. »
Si son père et son frère ont été gazés à leur arrivée Auschwitz, ses sœurs et ma mère ont récupéré leur appartement à Paris à l'issue de la guerre.
« A mon retour, j’ai appris à ma mère de manière très détachée la mort de son mari et de son fils. Les mots ne suffisent pas pour d'écrire l'horreur des actes ». En parlant de liens familiaux, Ginette Kolinka est la maman de Richard, le batteur du groupe de musique Téléphone, lui-même ex-époux de l'actrice Marie Trintignant, elle même assassinée en 2003 en Lituanie.
"À Auschwitz, Simone Veil m'a offert une robe, je crois qu'elle m'a sauvé la vie"
Ginette Kolinka a rencontré Simone Veil dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. "Simone, c'était ma copine. Elle pourrait être la pire des femmes, je la trouverais toujours extraordinaire. Elle était ma camarade de déportation. Je la pare de toutes les qualités. Elle les a d'ailleurs. Mais à mes yeux, elle a bien plus. Je ne supporterais pas que l'on dise du mal d'elle."
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