SAMEDI 01 AVRIL 2023
SAMEDI 01 AVRIL 2023 - בס''ד - Tsav – Chabbat haGadol - Délivrances
« Tsav », « Ordonne » (Lévitique 6 :2). Par ce mot, la Paracha de même nom débute. Moïse doit ordonner à Aaron, le Grand-Prêtre, le commandement concernant la réalisation d’un sacrifice particulier. Il s’agit de l’offrande dite « Ola », que l’on traduit par : holocauste, mais qui, en suivant le sens littéral, se traduit par : élévation. Nous comprendrons bientôt le rapprochement de ces translations.
Quelle est la spécificité de ce sacrifice ? Pourquoi faut-il « ordonner » de le faire ? Rachi, en substance, explique ceci. Alors que pour les autres sacrifices une part de la chair de l’animal échoit aux prêtres et au propriétaire, la chair de l’Holocauste elle, est entièrement consumée sur l’autel. Il faut donc faire preuve de zèle lorsque ce commandement est transmis. Cet ordre est donc un rappel de la vigilance à déployer alors « que le manque se ressent dans la poche. » Et c’est cette « offrande totale » qui donne à ce sacerdoce le nom d’Holocauste.
Cette réflexion mérite d’être étendue. Conscient de la difficulté du sujet, ce n’est pas sans appréhension qu’il est abordé. Holocauste, c’est le nom qui a été donné à la Shoah. Nous ne parlerons pas ici de ce que fût la Shoah. Les livres d’histoire, les authentiques, la racontent. Et aussi loyaux soient-ils avec les faits, ils la relatent moins bien que les numéros tatoués sur le bras d’une femme ou d’un homme dont la Shoah fût l’histoire.
Toutefois, parce qu’il faut tenter de saisir une idée qui soit dynamisante, nous nous focaliserons ici sur la notion d’épreuve présente dans la vie de l’Homme. Cette notion, sous toutes ses formes, semble être contredite par la réalité générale à l’intérieur de laquelle elle s’inscrit. La vie est pleine de ces paradoxes qui ne sont que des exemples : une école de cirque ouvre en face d’un hôpital ; une personne atteinte d’une maladie incurable emprunte tous les jours le même chemin qu’une bande de jeunes qui chantent avec insouciance. Le deuil rencontre la joie, et le temps suspendu le temps qui court. Il est alors légitime de se demander : comment ces notions cohabitent-elles ? Comment celui qui vit un drame peut-il trouver sa place dans le système qui, quoi qu’on en dise, reste bourré de vitalité ? N’est-ce pas là une forme d’ironie, sorte de pied-de-nez décoché au nez du souffrant ? Faut-il sauver le Schtroumf Grincheux de sa « grinchitude », subie ou choisie ? »
Nous n’avons pas la prétention de répondre.
Toutefois une piste de réflexion peut être proposée à l’aune notamment, d’une loi concernant le deuil dans la Hala’kha (loi juive). Avec le décès d’un proche, des périodes de deuil qui se succèdent - et qui sont autant de paliers pour l’élévation de l’âme du défunt – sont à respecter par les endeuillés : la semaine puis le mois. (Et l’année concernant le deuil des enfants sur les parents.) Cependant si une fête vient à tomber au milieu d’une période de deuil, cette période s’interrompt brusquement. Si par exemple Pessa’h tombe alors que seuls onze jours de deuil sont passés, l’entrée de la fête sonne la fin du « mois. »
Et les questions fusent : comment festoyer alors que le cœur pleure ? Ne serait-ce pas impertinent que d’imposer la joie à une âme en peine ? Est-ce bien la considérer, cette peine, que de l’empêcher ? La délivrance de Pessa’h peut-elle imposer son éclat à un cœur éclaté, à des yeux vidés ?
Il semblerait que la réponse puisse se trouver dans cette soirée de Pessa’h, assurément l’une des plus emblématiques du calendrier juif : le soir du Seder. Localement – pascalement - le Seder, ce sont quinze étapes qui font passer le juif de « Kadèch », de la prise de conscience de sa destinée spécifique – kadèch se traduisant « réservé à » - à « Nirtsa », ultime et quinzième station où l’œuvre de nos mains est agréée. A ce moment-là, le jour – la clarté de l’histoire – se lève, et la lumière pourfend le voile épais de la nuit froide et des cendres noires. « L’heure du Chéma du matin – de l’ « Ecoute » du matin – est arrivée » disent les disciples de Rabbi Eliézer à leur Maitre, dans la Haggada (recueil de textes récités le soir du Séder).
Mais Seder, c’est aussi l’ordre. Les étapes suivent un ordre précis et organisent ainsi le mouvement des individus qui se constituent en peuple. Et peut-être que c’est justement dans la participation à cette dynamique globale, cette dynamique qui invite tout un chacun à participer – « Que tout celui qui a faim vienne et mange » dit encore la Haggada –, qui peut amener, sinon l’apaisement de la peine spécifique, du moins le salut global inscrit dans la destinée de tous. Comment ? Il faut agir. L’action est essentielle : faire comme tout le monde et avec tout le monde. Le Seder de Pessa’h – parce que D_ieu a sauté par-dessus les maisons juives afin de les épargner de la mort des premiers-nés -, ce Seder-là ne saute pas au-dessus de quiconque : plus que jamais la dynamique générale s’empare de celle individuelle. L’agneau pascal – dont nous déplorons l’absence autant que celle du Temple et à travers lequel, dans l’espoir plus fort que l’exil, nous renouvelons le vœu de « L’an prochain, à Jérusalem » -, cet agneau-là doit se consommer en « ‘Haboura », en groupe : l’individu et ses individualités s’insèrent dans une symbiose qui magnifie et matifie les aspérités intrinsèques à chacun afin de préparer l’amorce de la délivrance qui ne peut intervenir qu’à l’échelle du Peuple. Personne n’a le droit de se soustraire à son devoir de manger un bout de cet agneau qui est une part de ce tout. S’écarter du groupe dans le contexte d’une union vitale recherchée est passible de « Karètt », de retranchement. On pourrait presque avancer que ce ne serait pas, pour cet individu, un châtiment conséquent à son choix. Ce serait plutôt le choix même qu’il aura fait. Il aura choisi, en s’abstenant de participer, de se retrancher du groupe.
Finalement, ce serait là la solution « possible » à la tragédie : la solution n’est pas dans la difficulté mais à l’extérieur d’elle. « Le prisonnier ne peut se sortir de prison » affirme le Talmud (TB Bera’khot 5b). Le temps du deuil individuel s’efface devant le temps de joie globale. Mieux : le temps individuel s’efface devant le temps global. Car c’est moins l’aspect joyeux de la fête qui a le pouvoir d’effacer les peines que celui englobant qu’elle recèle : tous sont concernés par ce temps.
C’est ainsi que le Seder peut se comprendre. L’ordre de cette soirée produit la Délivrance non à la seule condition de la compréhension de son contenu, mais déjà, parce que l’on y aura pris part. Etre là, c’est être. L’engagement à la dynamique globale, c’est ici que se trouve la lumière. Alors, une fois illuminé par la lumière qui émane de l’Ensemble, peut-être alors devient-il envisageable de trouver dans cette lumière-là la force de raviver en soi cette flamme que l’on croyait disparue et sans espoir, et rencontrer ainsi, avec la Délivrance globale et grâce à elle, la délivrance individuelle et l’apaisement des yeux et du cœur.
Chabbat Chalom
‘Hag Pessa’h Casher véSaméa’h
Binyamin AFRIAT