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SAMEDI 06 NOVEMBRE 2021

SAMEDI 06 NOVEMBRE 2021 - ולדות תולדות Toledot

Toledot

Entre la construction d’un personnage et celle d’un cliché

« Toledot », « Descendances », voilà comment s’intitule notre Paracha (Genèse 25 :19 – 28 :9). Toutes les Parachiyot sont nôtres, de toutes nous nous réclamons. Mais ces descendances dont il sera question ici sont celles qui encore plus intimement s’attachent aux descendants que nous sommes. Elles recèlent également l’origine des descendances de nos principaux détracteurs.  

En effet, nous assistons ici à l’apparition de deux frères qui avant même de naitre se disputent « l’héritage des deux mondes » (Rachi sur 25 :22). Jacob et Esaü ne peuvent être d’accord tant leurs aspirations respectives sont opposées. L’homme des champs qu’est Esaü, né tout fait, avec ses poils et presque avec ses dents, ce chasseur aguerri à la chasse au gibier et à celle des humains lorsqu’il s’agit de les berner, cet homme en mouvement permanent dans la conquête matérielle de ce monde ne peut s’asseoir dans les tentes que fréquente son frère Jacob, les Ecoles de Chèm et d’Ever où l’on apprend la Torah et où, seule la vérité qui deviendra son crédo, la vérité absolue, celle qui dépasse l’instant et qui va le mener à la consécration ultime de voir sa silhouette gravée dans le marbre du Trône Divin est prônée comme méritant que l’on se mette à chasser, c’est-à-dire à se mettre en mouvement pour vouloir la saisir comme jamais objet fut saisi et pour cela, à accepter de chasser de sa vie tout ce qui éloigne du chant infini qu’est la découverte de la vérité que sont les objets et les idées temporels inscrits dans le périmètre fini et limité de la jouissance de l’instant.  Non, la cohabitation est impossible car il s’agit ici de faire un choix total, un choix qui va de la phase embryonnaire à la phase ultime. Ultime même au-delà de la mort puisqu’il sera dit de Jacob : « Jacob notre patriarche n’est pas mort » (cf. Talmud Taanit 5b). La Vérité de Jacob n’est pas relative, elle est absolue. « Donne la Vérité à Jacob » dit le prophète Michée (7 :20). Or comme déjà à la chasse, le dicton enseigne que « l’on ne peut pas courir deux lièvres à la fois », à plus forte raison – raisonnement si cher aux Talmudistes - qu’il est impossible de courir le lièvre et le livre en même temps ! Une lettre différencie ces mots, la lettre e, et surement pas l’interjection de l’hésitation (euh…). 

C’est cela qui fait de Jacob le patriarche le père fondateur des Douze Tribus d’Israel, c’est-à-dire de la Nation Israel, c’est cette vérité atteinte puis enseignée à ses fils qui leur permettra d’exploiter chacun la spécificité qui leur sera propre sans que, pour autant, soit pris le risque de quitter le navire, c’est également ce qui, aujourd’hui encore, attise les antisémites lorsque d’abord intrigués, puis dérangés, enfin heurtés – gratuitement, juste parce qu’ils l’auront bien voulu - ils auraient tellement préféré nous voir nous assimiler et nous confondre dans la masse ambiante des chasseurs de gibiers, mangeurs du temps présent, ce temps qui fait dire au prophète Isaïe « Mange et bois car demain nous mourrons » (22 :26).

Cependant après avoir exposé cette thèse, n’allons pas conclure à la prédestination des personnages, en l’occurrence à la droiture de Jacob et à la mécréance d’Esaü. S’il eut été aisé de conclure à cela, cela eut eu comme impact de dédouaner quiconque ne serait pas investi de la fibre du juste. Nous serions alors comme des êtres humains se mouvant sur terre, vaquant à nos petitesses et à nos grandeurs en observant ces figures inatteignables au firmament de notre horizon. Ça n’est pas l’objectif. Mieux : ce n’est pas la vérité.

 

D’une part nous savons que Esaü lui-même, celui dont les descendants que sont Amalèc, Hamann et tous les dictateurs aux idées uniques, qui balayent ainsi Israel, ce peuple-un aux idées multiples, duquel dira Hamann « et leurs cultes sont différents de tous les peuples » (Esther 3 :8), Esaü donc a vu sa tête trouver sa place dans le Caveau des Patriarches (cf. Talmud Sota 13a). Manière de dire : Esaü était pénétré de la doctrine de son père Isaac et savait ce qui était méritoire pour l’homme. Isaac l’aimait (alors que Rebecca lui préférait Jacob) et il serait inapproprié de penser que le père était dupe quant à la façon d’être du fils (Genèse 25 :28).   

De plus, relève Rav Shimshon Raphael Hirsch, et il a l’impertinence obligatoire et salutaire de faire la critique de nos grands en l’occurrence Isaac, l’éducation qui a été donnée à Jacob et à Esaü par Isaac a suivi le même modèle puisque ce n’est que lorsque « les enfants grandirent qu’Esaü fut un homme chasseur, homme des champs » tandis que « Jacob était un homme intègre, résidant dans les tentes » (25 :27), mais « tant qu’ils étaient petits, ils n’étaient pas distinguables dans leurs actes » (Rachi). Or l’égalité des chances dans l’éducation, dit Rav Hirsch, si elle promeut l’école pour tous, n’est surement l’uniformité des enseignements ni l’égalité des messages. En revanche : « Eduque le jeune selon sa voie, même lorsqu’il vieillira, il ne s’en détournera pas » (Proverbes 22 :6). A savoir : considère l’enseigné dans ce qu’il a de spécifique et dispense lui le savoir qui lui correspond, tant dans le fond que dans la forme. Or ici, l’uniformité de l’éducation qui a valu que, dans leur jeunesse, on n’eut distingué leurs tendances, est peut-être responsable du devenir d’Esaü. Ce qui revient à dire qu’Esaü, comme sa tête l’indique, était en capacité de ne pas être celui dont dira le maitre de la Michna Rabbi Chimon bar Yohai : « C’est une loi connue qu’Esaü à la haine de Jacob » (cf. Sifri) mais pouvait absolument élever ses tendances pour en faire quelque chose de noble. 

Voilà donc la déconstruction de la déification initiale des personnages. Il n’y pas d’élection prédéterminée de nos grands. Quand bien même ont-ils atteint par la suite une place imposante, elle n’est que le fruit de leur cheminement propre. Voilà qui humanise un peu plus nos grands et ainsi les rapproche de nous, voilà l’engagement que nous avons le devoir de prendre même si cela ne suit pas l’éducation que l’on aurait eue.

 

En conclusion, les descendants de Jacob comme ceux d’Esaü, qui en surface sont les rejetons de ce « chasseur » et de ce « chercheur » peuvent et doivent, malgré cette différence, s’asseoir ensemble et discuter. Il n’y a pas lieu de refuser le débat aux noms de doctrines ancestrales. Car s’il faut connaitre l’histoire et s’en imprégner, il faut ne pas oublier ce qui a mené à sa construction. Car c’est dans la construction que nous avons, tous, un combat à mener, non dans la défense stérile et inerte d’idées qui pour nous sont préconçues. Brandir le panneau qui défend le passé sans se targuer de celui qui, au présent, nous engage à réfléchir et à agir est une posture sclérosante et n’est sûrement pas le progrès. Œuvrer dans le sens de la construction d’un modèle plus juste de la société en tenant compte de tous ses pans que sont le passé et le présent ainsi que du patchwork multicolore et multiculturel dans lequel, aujourd’hui elle s’inscrit, cela est la dynamique juste de l’enjeu qui nous attend. Le progrès est à ce prix.

Reste une inconnue : est-ce que la volonté de progrès est présente chez tous les protagonistes du débat ? Rien n’est moins sûr. Mais pourra-t-on jamais accuser d’immobilisme celui qui pose une question ? 

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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