SAMEDI 07 MAI 2022
SAMEDI 07 MAI 2022 - קדושים – Kédochim - « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vraiment ?
קדושים – Kédochim
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vraiment ?
La section Kédochim (Lévitique 19 :1 – 20 :27), quoique relativement courte en nombre de versets (64) figure être l’une des plus riche en Mitsvot (commandements). Selon le décompte qu’en fait le Sefer ha’Hinou’kh, il y en a cinquante et une, treize positives dites « tu feras » et trente-huit négatives, « tu ne feras pas. » On comprendra alors qu’il ne soit possible, dans le cadre de cet écrit, de porter un regard englobant sur l’ensemble de la Paracha. Toutefois, bien que nous nous focaliserons sur un seul verset, il en ressortira un enseignement qualitatif qui dépassera de loin sa dimension quantitative.
L’Ecriture dit : « Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même : je suis l’Eternel » (19 :18). Sur ces derniers mots, célèbres, « Aime ton prochain comme toi-même », Rabbi Akiba, le grand Maitre de la Michna apporte une précision et ces mots sont en eux-mêmes un enseignement : « C’est un grand principe dans la Torah » (Torat Cohanim, cité par Rachi). Ce qui signifie que cette Mitsva recèle un contenu qui l’érige au niveau de « principe », ce qui n’est pas dit des autres commandements. Il s’agit donc de comprendre quelle est la fonction de ce « principe », par rapport à la notion prépondérante de « Mitsva » (ordre) des autres injonctions auquel ce titre n’est pas donné.
Mais avant cela, l’analyse de la phrase interroge. En effet, comment est-il possible que la Torah demande d’aimer le prochain « comme toi-même » ? Que l’on doive l’aimer se conçoit. Le Créateur a en effet créé l’être humain en être sociable, vivant avec l’autre et ayant besoin de lui. Et parce qu’il ne suffisait pas que les liens soient cordiaux car superficiels, Il a demandé d’aimer. Mais le « comme toi-même » semble impossible.
Avançons. Le Talmud (Chabbat 31a) rapporte la célèbre histoire de l’homme, non-juif, venu devant Hillel, afin de se convertir « pendant qu’il se tenait sur un pied. » A la différence de Chamaï qui auparavant l’avait repoussé, Hillel l’accepte et lui dit : « Ce qui est haïssable pour toi, ne le fais pas à ton prochain. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. Va et étudie. » Il s’agit d’affiner le regard à porter sur la compréhension de ce récit. Car ne voir là que l’accueil d’Hillel face au repoussement de Chamaï est simpliste et donc faux. En effet, lorsque l’on vient pour apprendre, on ne peut pas le faire avec ses propres conditions – et encore moins comme ici, avec une requête pour le moins saugrenue. Au contraire, il est attendu du disciple de se plier aux règles qui charpentent la méthode d’apprentissage, voire à celles que le Maitre édicte. Pourtant Hillel l’accueille et, de facto, lui donne raison. Quel est le sens de ce récit ?
Mieux. Comment le « Aime ton prochain comme toi-même » se commue-t-il en « Ce qui haïssable pour toi, ne le fais pas à ton prochain ? » N’est-ce pas là une énorme réduction du message divin qui a prôné l’amour mais que l’on a réduit à une non-haine ? Peut-on reprocher à Hillel d’avoir été consensuel à l’égard de cet homme dans le seul but de l’accueillir après qu’il ait été rejeté par Chamaï ? Ne serait-ce pas là une Torah « au rabais » qu’il lui aurait été « vendu ? »
Proposons. Il semble logique qu’il faille lire la phrase de la Torah dans son contexte. Et déjà au niveau de la découpe du verset. Relisons-le : « Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même : je suis l’Eternel. » L’Ecriture a donc réuni l’interdiction de vengeance avec la recommandation d’amour de l’autre. Ces notions sont déjà liées parce que placées dans le même verset mais encore plus par la conjonction de coordination « mais. » Cette bascule, en soi étonnante, est peut-être celle où se situe le cœur de l’idée. La Torah, qui parle d’amour, ne peut le faire que dans la rationalité saisissable de l’Homme auquel elle s’adresse. Et même si ce sentiment est difficilement appréhendable – allez demander : C’est quoi, l’amour ?!! -, le « comme toi-même » l’est d’autant moins. Toutefois, en l’ayant juxtaposé aux deux interdits, ceux de se venger et de garder rancune, l’Ecriture a comme « tempéré » l’ardeur de l’amour qu’elle a prôné ensuite vis-à-vis du prochain. C’est ce qui aura permis à Rabbi Akiba de voir dans ce commandement un « principe » et à Hillel de lui donner cette forme plus saisissable. D’où : « Ce qui est haïssable pour toi, ne le fais pas à ton prochain. » La Torah s’adresse aux Hommes, pas aux anges. Les êtres-humains n’ont pas à aspirer à devenir des anges. Leur vocation consiste déjà à être les meilleures personnes possibles.
C’est cela qui fait dire à Rachi (sur Talmud Sanhédrin 84b) : « Le seul avertissement qui a été dit à Israel (dans : Aime ton prochain etc.) c’est de s’abstenir de faire à son prochain ce qu’il ne veut pas pour lui-même. » Pas de respecter « à la lettre » la lettre de cette sentence. C’est encore ce qu’en dit Sforno, sur place : « Aime pour ton ami, ce que tu aurais voulu pour toi-même si tu avais été à sa place. »
Puis, ce qu’il faut absolument capter du verset, c’est qu’il est impératif de s’aimer soi-même. La personne asociale qui se serait mise en marge des autres et qui, dans sa détresse, serait prête à se faire du mal, a l’interdiction la plus stricte de faire à l’autre ce qu’elle désire pour elle. Car, dans sa détresse, elle ne s’aime pas ; c’est d’abord là-dessus qu’elle a le devoir vital d’agir.
De la lucidité, c’est cela qui ressort. Etre lucide avant tout afin de définir ce qui est bon pour soi. Non juste, dans la dimension petite de nos mesquineries, celles-là ne seront jamais pour l’autre la moindre référence. Mais lucide dans l’aspiration grande du potentiel que nous avons à développer, quand bien même nous ne soyons pas en phase avec lui aujourd’hui. Et donc s’aimer en premier lieu. Puis mûs de ces sentiments bienveillants à notre endroit, nous avons le devoir d’aimer l’autre. C’est-à-dire « de vouloir pour lui ce que l’on aurait voulu si nous avions été à sa place. » Ces démarches – elles sont deux – obligent à se projeter. A se projeter d’abord en dehors de soi pour aspirer au meilleur possible, ce qui nous oblige à porter sur nous un regard de grandeur et de dynamisme. Après cela, il devient envisageable de à se projeter à l’intérieur de l’autre, en imaginant pour lui ce que l’on aimerait pour soi.
Si Hillel a accepté de répondre à l’homme voulant apprendre toute la Torah alors qu’il était juché sur un pied, c’est peut-être que pour lui c’était important. Et que pour lui enseigner un tel principe, il aura fallu d’abord se l’enseigner à soi-même.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat