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SAMEDI 08 JANVIER 2022

SAMEDI 08 JANVIER 2022 - בא - Bo - Mettre les yeux et le cœur

  בא - Bo

Mettre les yeux et le cœur

La Paracha Bo (Exode 10 :1 – 13 :16) relate les trois dernières plaies qui s’abattent sur l’Egypte, dont celle ultime qui va précipiter la délivrance des Hébreux, la mort des premiers-nés. L’ordre de faire un agneau pascal, d’en badigeonner de sang les linteaux et les poteaux des maisons afin que D_ieu « saute » par-dessus les maisons juives et épargne les premiers-nés figure également dans notre section. Auparavant, lors de la description de la neuvième plaie, les ténèbres, l’Ecriture en parle ainsi : 

« L’Eternel dit à Moïse : « dirige ta main vers le ciel et des ténèbres se répandront sur le pays d’Egypte, des ténèbres opaques. Moïse dirigea sa main vers le ciel et d’épaisses ténèbres couvrirent tout le pays d’Egypte, durant trois jours. On ne voyait pas l’un l’autre (littéralement : on ne voyait pas, un homme, son frère) et nul ne se leva de sa place, durant trois jours ; mais tous les enfants d’Israel jouissaient de la lumière dans leurs demeures » (10 : 21-23). 

Une question simple se pose. Le verset explique ce que sont les ténèbres : « on ne voyait pas, un homme, son frère. » A-t-on besoin d’une telle description ? Evidemment, par ténèbres nous saisissons qu’ils ne pouvaient se voir. Pourquoi la Torah, concise dans son propos partout, s’étend ici de cette façon ? Et ça continue : « Nul ne se leva de sa place. » Parle-t-on de ténèbres ou de handicap ? Quelle est le lien entre cet immobilisme et l’obscurité de la plaie ?

Rav Israel Meïr Lau, ancien Grand Rabbin d’Israel qui pose la question répond, en substance, ceci (Cf. vidéo YouTube). En réalité au-delà des ténèbres physiques, l’Egypte était un pays où « l’on ne voyait pas son frère. » Un homme pouvait être en difficulté, on ne se souciait pas de lui. Les ténèbres physiques n’ont été que révélatrices de la cécité sociétale et morale dans laquelle les gens vivaient. « Chacun pour soi » était le crédo. Le sort de l’autre n’importait pas. Si quelqu’un était en détresse « nul ne se levait de sa place » pour lui porter secours. Alors, lorsque l’égoïsme est érigé en doctrine, les ténèbres s’abattent. Ce faisant, elles matifient toutes ces individualités dans un marasme qui désormais les unit, manière de montrer que s’ils n’ont pas su être concernés alors qu’ils étaient éclairés, c’est l’obscurité qui va réunir toutes ces désunions. 

 A contrario, les enfants d’Israel « jouissaient de la lumière dans leurs demeures. » Certes, comme pour toutes les autres, cette plaie n’a pas frappé les Hébreux. Mais depuis toujours, se bander les yeux, vivre reclus dans le petit confort de sa bulle n’était pas la doctrine de la maison. Pour preuve, l’attitude de Moïse à ses débuts. Alors qu’il vivait dans le palais royal, adopté par la princesse qui l’avait recueilli des flots, l’Ecriture dit : « Or, en ces temps-là, Moïse, ayant grandi, sortit vers ses frères et vit leurs souffrances. Il aperçut un Egyptien frappant un Hébreu, un de ses frères » (2 :10). Moïse n’était pas encore celui qu’il allait devenir mais simplement un digne descendant d’Abraham qui avait incrusté la bienveillance dans les gènes de la nation. Alors, il « sort vers ses frères », il s’extirpe de sa bulle rassurante pour « mettre ses yeux et son cœur afin de souffrir avec eux » ainsi que le dit Rachi dans son commentaire sur le verset. Voilà la véritable lumière dans les demeures. 

C’est de cet éclairage, loin de nous de nous congratuler d’un acquis qui disparait dès que l’on croit le posséder, que les enfants d’Israel se réclament. Le regard porté avec fierté vers ceux qui auront su « sortir afin de voir » c’est déjà la volonté de leur ressembler. Car loin s’en faut de supposer la chose acquise, il faut mener le combat de la bienveillance pour espérer l’avoir en soi. 

Le message biblique n’est pas clivant. Toute personne voulant affuter son regard à voir l’autre possède « la lumière dans sa demeure. »  Tel est également le discours du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia dans son ouvrage, Réinventer les aurores qui invite à « ne pas renoncer aux aurores de l’espérance » et propose « un manifeste contre l’indifférence, un plaidoyer pour la fraternité, une politique de la jubilation et du bonheur retrouvé » (Cf. introduction). 

Et parce que ce message doit absolument être compris de tous et des jeunes générations en premier chef, voici un dialogue, issu d’un film - que je n’ai pas vu – entre un vieux chef Cherokee et son petit-fils :

  • Le vieux chef : « Il y a un grand combat qui se passe à l’intérieur de nous tous et c’est un combat entre deux loups. L’un est le mal, il est colère, culpabilité, tristesse et égo. L’autre est bon, il est joie, amour, vérité et foi. »

  • Le petit-fils : « Quel est le loup qui gagnera ? »

  • Le vieux chef : « Celui que tu nourris. » 

Alors si, selon Hobbes « L’homme est un loup pour l’homme », que selon Sartre « L’enfer, c’est les autres » c’est peut-être parce que l’on n’aura pas choisi de nourrir le bon loup.  

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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