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SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2022

SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2022 - Choftim – שופטים -A quelle vérité sommes-nous sensés répondre ?

Choftim – שופטים

A quelle vérité sommes-nous sensés répondre ?

Dans l’un des passages de la Paracha Choftim (Deutéronome 16 :18 – 21 :9) se pose la question de la vérité en tant que concept. Sans avoir à détailler les problématiques concernées, le texte recèle des idées qui participent à nombre de réflexions que ce concept soulève. Bien qu’un sujet philosophique aussi fourni ne puisse être couvert dans un texte aussi court, il reste pertinent d’étudier ce passage de la Torah dans lequel un certain éclairage sera rendu possible. 

8 Si tu es impuissant à prononcer sur un cas judiciaire, sur une question de meurtre ou de droit civil, ou de blessure corporelle, sur un litige quelconque porté devant tes tribunaux, tu monteras et te rendras à l'endroit qu'aura choisi l'Éternel, ton Dieu ;

9 tu iras trouver les pontifes, descendants de Lévi, ou le juge qui siégera à cette époque ; tu les consulteras, et ils t'éclaireront sur le jugement à prononcer.

10 Et tu agiras selon ce qu’ils t’enseigneront, émanée de ce lieu choisi par l'Éternel, et tu auras soin de te conformer à toutes leurs instructions.

11 Selon la doctrine qu'ils t'enseigneront, selon la règle qu'ils t'indiqueront, tu procéderas ; ne t'écarte de ce qu'ils t'auront dit ni à droite ni à gauche.

12 Et celui qui, téméraire en sa conduite, n'obéirait pas à la décision du pontife établi là pour servir l'Éternel, ton Dieu, ou à celle du juge, cet homme doit mourir, pour que tu fasses disparaître ce mal en Israël ;

13 afin que tous l'apprennent et tremblent, et n'aient plus pareille témérité.

 

(Deutéronome 17 :8 – 13)

 

Précisons certains points afin de comprendre le sujet. Dans le verset 8, l’ « endroit qu’aura choisi l’Eternel » est le Temple, auquel était accolé le Sanhédrin, le Grand Tribunal des soixante et onze juges. « Monter » pour consulter ces juges, en eux-mêmes éminents qui, de surcroit, étaient investis de l’esprit Divin régnant dans le Temple, c’est déjà une gageure d’y trouver la vérité recherchée.

 

Pourtant le résultat escompté pourrait ne pas être au rendez-vous. En effet, sur les mots du verset 11 « ne t'écarte de ce qu'ils t'auront dit ni à droite ni à gauche » qui exige de se conformer au verdict rendu, Rachi explique :

 

‘Même s’il te dit sur la droite que c’est la gauche et sur la gauche que c’est la droite, ne t’écarte pas de ce qu’ils auront dit.’

 

Cette sentence rabbinique célèbre ‘Même s’il te dit sur la droite que c’est la gauche et sur la gauche que c’est la droite…’ est fortement discutée parmi les commentateurs traditionnels. Car la comprendre littéralement semble pour le moins étonnant. Imaginons la scène : un homme se pose une question pour laquelle il estime nécessaire de solliciter le Grand Sanhédrin. Il se rend donc à Jérusalem, y consulte « le juge qui y siège à cette époque » - nous reviendrons sur la formule – et s’entend dire une vérité qui est en fait une contre-vérité. Il ne pourra pas s’attacher à ce qu’il sait de la Torah sur cette question mais aura le devoir d’agir « selon ce qu’ils lui enseigneront » (vers. 10) et de surtout « ne pas s’écarter de ce qu’ils auront dit, ni à droite ni à gauche » (vers. 11). N’est-ce pas là une curieuse façon d’apprendre la vérité ? La recherche primaire n’est-elle pas celle de trouver l’authenticité ? Comment alors admettre de faire « à gauche » alors que l’on sait « à droite ? »

 

Cette question a mené plusieurs commentateurs (Abarbanel et d’autres) à nuancer la compréhension de Rachi. Il ne s’agit pas, selon lui, d’un verdict qui est explicitement en contradiction avec un texte toraïque ou rabbinique mais de ce qu’il semble être en opposition avec. Ainsi : « Même si, à tes yeux, le juge te dit sur la droite que c’est la gauche, tu ne te détourneras pas » ; et non dans le cas où l’on serait absolument convaincu qu’il se trompe, la Torah enseignant le contraire. En cas d’erreur manifeste, il faudra agir en conscience avec la parole de la Torah et non avec celle du sage la transmettant. Tandis que l’obligation d’agir « selon ce qu’ils t’enseigneront » dont parlent ici les versets exige de le faire en dépit de ce qui nous semblerait que le verdict du juge est que la droite, c’est la gauche, non lorsque la Torah dit « droite » et que le juge enseigne délibérément « gauche. » 

 

La leçon comprise à travers ce prisme est celle de la cohérence. Lorsqu’en effet, il a été estimé qu’il faille se tourner vers une entité ayant force de loi, se fait alors le devoir de suivre la décision prise par cette entité, quand bien même cette décision ne serait pas convaincante à nos yeux, voire même lorsqu’elle nous semble contraire à la logique. Puisque de prime abord nous avons considéré légitime cette autorité et ainsi, de manière sous-jacente, admis notre soumission au verdict qu’elle rendrait, il n’est plus admissible de retirer de cette entité la confiance que nous lui avons vouée, dès lors que le résultat ne corroborerait pas totalement celui escompté. 

 

Toutefois, une autre leçon, bien plus pertinente encore, émane de la deuxième compréhension de Rachi, celle qui donne sens au texte pris au pied de la lettre. C’est entre autre la lecture de Na’hmanide et celle, nuancée, du Séfèr ha’Hinou’kh. Pour ces commentateurs, le devoir qui incombe à celui qui a fait appel à la justice est de suivre le verdict même lorsqu’il serait en inadéquation avec des textes manifestes de la Torah. Na’hmanide, en substance, l’explique ainsi :

 

La Torah a été donnée à l’écrit. Le texte, en se conformant à la nature humaine, peut être saisi de différentes façons. Et cela peut conduire à des désaccords qui amèneraient la Torah à devenir plurielle. Afin d’éviter cela, il nous a été demandé de suivre une opinion, celle précise du Maitre choisi et, en l’occurrence, le verdict tranché par le Grand Sanhédrin de Jérusalem.

 

 Ce faisant, la Torah se trouve protégée de l’éclatement qu’une multitude de compréhensions pourrait provoquer. Ainsi, son autorité reste préservée puisqu’elle n’est pas sujette aux interprétations, vraies au demeurant, qui émanent d’elle, mais transmets, par l’intermédiaire du Juge ou du Maitre, une seule façon d’agir.

 

Le Séfer ha’Hinou’kh s’exprime en des termes plus encore explicites qui méritent d’être cités.

« Même si les sages se sont trompés et que nous avons décelés leur erreur, nous n’avons pas à les contredire, mais nous agirons selon leur erreur. Car il est préférable de supporter une erreur en étant soumis à leur esprit toujours éclairé plutôt que laisser chacun agir à sa guise, selon sa propre opinion, ce qui provoquerait la destruction de la Torah. »

On acceptera donc que le juge définisse « la droite » comme étant « la gauche » et on le suivra dans sa lecture car ainsi, en respectant de le suivre dans son erreur, on préservera l’édifice tout entier : la Torah comme référence. 

 

Cette étude peut se conclure sur une réflexion générale concernant la vérité. Car, alors que la réaction spontanée serait de dire que suivre un verdict erroné est totalement antinomique avec la justice que l’on est venu chercher, la Torah nous apprend ici à reconsidérer notre façon d’appréhender la justice et le rapport à entretenir avec ceux qui en extraient la loi. Une fois de plus, le regard simple et superficiel est banni tandis que c’est dans les nuances que s’incarne l’idée. Car à réalité, la vérité absolue, seule D_ieu la détient. Et bien que celle-ci ait été le moteur de la rédaction de la Torah, ce qui confère à l’Ecriture la place de référence suprême, lorsqu’elle vient à être analysée par les Hommes et pour les Hommes, elle peut ne plus être conforme à la vérité absolue de D_ieu. C’est ce que disait Na’hmanide lorsqu’il évoquait une Torah plurielle. Pour autant, nous n’avons pas d’autre choix que de nous tourner vers les paroles des Sages puisque c’est à eux qu’échoie l’établissement de la dimension tangible - la Hala’kha – à partir des textes.

 

C’est peut-être ainsi que peut se comprendre une autre phrase de la séquence précitée. Il y est dit, dans le verset 9 : « Tu iras trouver […] le juge qui siègera à cette époque… » Le Talmud demande : Est-il envisageable de consulter le juge qui ne vit pas à notre époque ? Et de répondre que c’est pour accepter de nous fier au juge qui se trouve parmi nous, peu importe la nostalgie que nous aurions envers un autre, plus grand, qui aurait vécu avant.  Car « Jephté à son époque est comme Samuel à la sienne » (TB Roch Hachana 25b). Rachi sur le verset le dit aussi : « Même si le juge de cette époque n’est pas comme les autres juges qui ont vécu avant lui, tu n’as que le juge vivant à ton époque ». Si cela peut résonner comme le dicton populaire « On n’a que ce que l’on mérite », à l’aune de notre raisonnement, il s’agit surtout de réaliser que le principal est bien de se tourner vers l’autorité et de l’accepter en tant que telle au-delà du contenu de ce que sera sa décision. La démarche visant à reconnaitre la force de Maître, c’est celle-là précisément qui correspond à de ce que la Torah qualifie de justice. Pour autant, loin de nous l’idée d’exonérer le juge de rendre le jugement le plus juste, il n’empêche que du point de vue du justiciable, son mérite réside de prendre la posture d’acceptation de l’autorité. Ou, autrement dit et de manière poétique, l’idée n’est pas d’atteindre les étoiles mais de viser les étoiles.

 

Cette idée d’ailleurs se retrouve dans un autre commentaire de Rachi, en début de Paracha. Sur le verset :

« La justice, la justice tu poursuivras afin que tu vives et hérites de la terre qu’Hachem ton D_ieu te donne » (16 :20)

Les mots de Rachi sont explicites :  

Afin que tu vives et hérites : « La nomination des juges intègres est suffisante pour donner à Israel le mérite de vivre et de les installer sur leur terre. »

Relevons le fait que ce n’est pas le rendu de la justice juste qui est nécessaire pour garantir ces mérites, attente qui semble être, une fois de plus, celle évidente de la part du Tribunal, mais le fait d’avoir nommé des personnes intègres à ces postes. Le rôle du responsable Communautaire ne couvre donc pas de garantir la vérité, mais de vouloir qu’elle émerge des personnes qu’il a nommées.  

 

Finalement, aussi juste que serait notre compréhension, nous devons faire preuve de soumission – le mot est fort et pourtant approprié - envers ces défenseurs de la Torah. Et ce, même si le prix à payer, c’est de nous « tromper ! » Ce n’est pas juste une question d’humilité. C’est ce qui rend possible le fonctionnement de la société pour que, dans toutes les situations, elle aille de l’avant.

 

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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