top of page

SAMEDI 11 DÉCEMBRE 2021

SAMEDI 11 DÉCEMBRE 2021 - Vayigach, une vaste histoire de retrouvailles

Vayigach, une vaste histoire de retrouvailles

L’histoire de Vayigach (Genèse 44 :18 – 47 :27) c’est celles de retrouvailles. Celles de Joseph avec ses frères d’abord lorsque, au terme d’une tension terrible, il se révèle à eux en disant : « Je suis Joseph ». Puis celles plus profondes qu’il a avec son petit frère Benjamin qui, dans la perspective de la séparation d’avec lui, avait donné à ses dix fils des prénoms liés aux circonstances du frère absent. Celles enfin de Jacob avec son fils chéri, lesquels se retrouvent après vingt-deux années. De deuil pour le père croyant son fils mort, de languissement pour le fils qui a dû s’empêcher de se signaler à son père afin que l’histoire des Hébreux en Egypte puisse s’écrire. Toutes ces retrouvailles sont finalement les retrouvailles de ces hommes et de ces femmes avec leur Histoire, celle voulue par D_ieu, ainsi que Joseph, dans une abnégation sublime l’avait dit à ses frères : « Ne vous attristez-pas de m’avoir vendu ici [car] ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici mais D_ieu… » (45 : 5 et 8).

On aime bien les retrouvailles qui émeuvent, on aime bien les histoires qui se dénouent. Qui défont ces nœuds qui les ont rendues compliquées, lesquels se sont importés dans nos yeux, dans nos cœurs, dans nos ventres. Mettre tout à plat et tout le monde d’accord par la même est jouissif. Même si nous savons qu’en coulisse, tout n’est pas lisse. Que le devant de la scène ne révèle pas les pénombres du décor. On aime voir la boucle se refermer. C’est certainement cela aussi qui superficiellement, rassérène à la lecture de cette Paracha. 

Pourtant le focus sur l’une de ses séquences étonne. Nous assistons aux retrouvailles de Jacob avec son fils Joseph : « Et Joseph attela son char et monta à la rencontre d’Israël son père à Goshen. Il lui apparut, tomba sur son cou et pleura sur son cou encore » (46 :29). Rachi précise que le sujet de tous ces verbes, c’est Joseph. Lui seul est tombé sur le cou de son père et lui seul a pleuré. Pas Jacob. « Nos Maitres disent qu’il lisait le Chéma » (Midrash). 

Une question se pose pourtant. Si le moment de lire le Chéma était arrivé, pourquoi Joseph lui ne le lisait pas ? Et si l’instant n’était pas celui de l’obligation de le lire, pourquoi Jacob l’a fait ? Le Maharal de Prague (1520 – 1609) qui pose la question (Gour Arié) répond avec ces mots : 

« Lorsque Jacob arriva et vit que son fils Joseph était devenu roi, l’amour et la crainte de D_ieu lui sont venus au cœur en réalisant combien Ses midot (littéralement : mesures. Ce mot désigne chez les humains les traits de caractère. A propos de D_ieu, on le comprendra par : expressions se Son émanation) sont bonnes et complètes et qu’Il rétribue grassement ceux qui Le craignent. Cette attitude, c’est celle des pieux qui, lorsqu’ils sont atteints par le bien, s’attachent à D_ieu pour ces bontés et cette vérité qu’Il a fait avec eux. C’est cela, la lecture du Chéma, dans lequel sont mentionnés l’Unité du règne du Ciel et Son amour. Il convenait donc de lire le Chéma car après avoir vécu toute la peine due à la disparition de Joseph et le dénouement d’aujourd’hui, le voyant devenu roi, il aima l’Eternel qui lui avait fait cela et accepta Son règne, Son amour et Sa crainte. Cela est vrai pour qui le comprendra. »

Effectivement, cette lecture du Chéma n’était donc pas liée à la Mitsva (commandement) de le lire mais appartenait à un autre registre. Jacob savait qu’il allait vivre un moment d’une intensité inouïe et, pour que ce ne soit pas simplement un temps voué à disparaitre, il a désiré le transcender en employant cette émotion pour l’Eternel qui lui permettait de le vivre. C’est cela que représente la lecture du Chéma qui, entre autres, dit l’amour de D_ieu « pour cette bonté et cette vérité. » 

Toutefois tout n’est pas réglé. La question qui dès lors se pose est de comprendre pourquoi, chez Joseph, la démarche n’a-t-elle pas été analogue ? Pourquoi n’a-t-il pas trouvé légitime de commuer le vécu de son instant en étincelle d’éternité ?

La plus réponse la plus évidente à cette question consiste à sa déconstruction : on ne peut pas attendre de deux personnages le même élan individuel. Si sur le plan de la loi – la hala’kha enjoignant de lire le Chéma - la question peut se poser, l’attente ne peut être similaire quant à une entreprise personnelle. Ce qui pour Jacob a été ressenti ne l’a pas été pour Joseph, point. Voilà un point de vue suffisant pour défaire la question. 

Toutefois, au-delà de ce propos, il est notable de constater qu’un lien spécifique préexistant est présent entre Jacob et le texte du Chéma. Et également un autre, lui circonstanciel au contexte dans lequel il a été dit.

Les liens préexistants : 

  1. Lorsque Jacob, au moment de les bénir a cru trouver parmi ses enfants un fils impie, ils l’ont rassuré en lui disant : « Ecoute Israël – Jacob – Hachem (qui) est notre D_ieu, Hachem est Un. » Ce à quoi il a répondu en récitant : « Béni soit le Nom de Son règne glorieux à jamais » (Cf. Pessa’him 56a, Maimonide lois du Chéma, 1 :4). Jacob a donc « ajouté » un verset au texte originel qui, depuis, est récité à voix-basse.

  2. Avant d’être le nom du peuple et de sa terre, Israël est le nom que l’ange d’Esaü a donné à Jacob. Nous venons de le voir : c’est à Jacob que fut d’abord dit : Ecoute Israël. 

 

Les liens circonstanciels :

  1. En admettant que la lecture du Chéma hors-contexte corresponde à la réaction à un épanchement divin, Jacob plus que Joseph était en mesure de le réciter. Il était en effet privé du dévoilement de la Ché’khina (émanation divine) durant toute la période où il était attristé par la disparition de son fils. Ce n’est que lorsqu’il se rendit compte que Joseph était vraiment vivant « que son souffle vécut » et que « résida sur lui la Ché’khina » (45 : 27, Rachi). On peut donc lui accorder l’avantage de la lecture transcendantale du Chéma au moment de la réunion effective parce qu’alors sa joie a été exacerbée.

  2. Le Maharal relève à deux reprises que Joseph était devenu roi. Or pourquoi faut-il que le fils soit roi pour que chez le père s’exprime l’envie de réciter le Chéma ? Les retrouvailles de son enfant ne sont-elles pas en elles-mêmes une raison suffisante de ressentir une très grande joie ? Une certaine lecture des évènements permet de dire ce qui suit. En fait, dans la forme et pour Jacob seulement, s’opérait ici un dévoilement similaire à celui du Roi du Monde lorsque le moment de la Rédemption arrivera.  En effet alors que pour Joseph l’accession au trône a été le fruit d’un cheminement, pour Jacob l’apparition de son fils roi fut soudaine. De laissé pour mort il apprend que Joseph est vivant et roi d’Egypte. Or la notion de soudaineté est rattachée au dévoilement ultime de D_ieu : « Soudain, viendra en Son sanctuaire le Maitre que vous recherchez » (Malachie 3 :1).  Alors, parce qu’avec le dévoilement soudain du Roi du Monde, sera dit unanimement et par tous « Hachem est Un » (Zacharie 14 :9), Jacob, spectateur de son fils, soudain devenu roi, déclara aussi : Hachem est Un. 

 

Finalement, il est encore question de retrouvailles ici : celles de Jacob avec son Créateur. D’ailleurs toutes les autres retrouvailles vécues par l’homme dans sa vie ne sont que le jalon de celle, absolue, du créé avec la Main qui l’a fait. Ou autrement dit : de l’homme avec lui-même puisque la parcelle divine qui l’habite n’aspire à rien d’autre qu’à réintégrer la place qui est la sienne dans le giron du Maitre du Monde. Toutes les explorations ne sont qu’autant de fuites en avant de l’homme qui croit que c’est ailleurs que se trouve le bonheur. Or en réalité « la chose est proche de toi vraiment, dans ta bouche et dans ton cœur de la faire » (Deutéronome 30 :14).

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

bottom of page