SAMEDI 13 NOVEMBRE 2021
SAMEDI 13 NOVEMBRE 2021 - Vayétsé, sors, vis et devient
Vayétsé, sors, vis et devient
Alors que les sections précédentes ont mis en lumière, chacune respectivement, la vie et le message d’un personnage principal, la Paracha de cette semaine, Vayétsé (Genèse 28 :10 – 32 :3) voit naitre, au sens figuré et au sens propre, une multitude d’acteurs importants. L’organigramme des Patriarches, des Matriarches et de presque tous leurs descendants se trouve complété ici. Après cette Paracha, nous assisterons aux dynamiques et à l’imbrication de tous ces personnages entre eux. C’est dire que cette « sortie de Jacob » dont il est fait mention ici aura été salutaire pour que l’ensemble des pièces du puzzle soient en présence. Bien sûr leur organisation se poursuivra pour constituer, plus tard, l’image que nous savons mais relevons qu’il aura fallu à Jacob s’extraire de son environnement pour que devienne possible la naissance de ces acteurs prépondérants. Une fois de plus, le constat est là : aussi nécessaire que soit le travail intérieur, ce n’est pas en soi que se trouve la solution mais dans un ailleurs extérieur à soi. Cet ailleurs extérieur n’est pas un autre que soi. Nos Maitres enseignent justement : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? » (Maximes des Pères 1§14). Mais c’est une obligation à rechercher en dehors de sa zone de confort la solution nécessaire, le chemin à suivre. Il n’y a pas de fatalité à devoir poursuivre ces habitudes que nous supposons indissociables de notre personne. Au contraire, c’est ici qu’il nous attend. Qui « il » ? Celui-là même qui fera que nous serons bientôt, si nous nous en donnons les moyens, « la meilleure version de soi » selon l’expression consacrée. Pour l’heure Il sommeille dans les méandres de l’être. « Il » doit devenir « Je ».
Pour cela, il faut avoir le courage de sortir, d’affronter l’inconnu, d’envisager le combat avec cette peur qui nous fait peur. Et si, à l’instar de Jacob, chacun est seul face à lui-même lorsqu’il accepte de sortir, cela reste la dynamique globale, nécessaire à tous ces Jacob en potentiel que nous sommes. Ce peut ne pas être rassurant car c’est seul que nous devons sortir de Béer Chéva – du giron rassurant qui nous a vu grandir - ; c’est encore seul que nous allons déplacer la pierre qui bouche le puits – l’obstacle derrière lequel se trouve la vitalité de la vie - ; c’est toujours seul que nous faisons face à Laban – cet employeur fourbe qui parle parfaitement la novlangue - ; c’est encore nous et nous-même qui nous dirigeons, seul, vers le dais nuptial puisque notre fiancée est encore une épousée inconnue – quand en plus il faille parfois faire le choix entre Rachel et Léa… Pour autant, toutes ces solitudes sont des étapes nécessaires pour aborder cet autre que nous sommes aussi ; il faut braver ce silence pour faire connaissance avec nos coulisses où se trame réellement le théâtre de nos vies ; il faut combattre de toutes les manières – parfois même à la limite du légal - pour laisser apparaitre la clarté du bois qui se cache sous l’écorce brune. C’est à ce prix – celui que, tous ensemble, nous devons chacun payer – qu’il devient possible enfin, d’ériger le monticule-témoin de tous ces combats que nous aurons dû livrer.
Vous l’aurez compris, ces étapes racontent en filigrane les péripéties de Jacob après être sorti. Mais il est un combat qui mérite que soient dirigés sur lui les projecteurs. Il ressort d’une séquence singulière de notre Paracha. Voici le contexte : Ruben, le fils ainé de Léa « va » – lui aussi sort - et « trouve des mandragores » (30 :14) qu’il offre à sa mère. Ce sont des fleurs dont la racine ressemble au corps humain et qui ont la vertu d’être « utiles pour la grossesse » (Rabénou Ba’hyé, sur place). Rachel pour les obtenir, échange avec Léa la nuit que Jacob devait passer avec elle. L’Ecriture dit alors : « D_ieu écouta Léa – qui désirait multiplier le nombre de tribus (Rachi) – et elle fut enceinte puis enfanta à Jacob un cinquième fils. Léa dit : « D_ieu m’a récompensée (en hébreu : natan se’khari) d’avoir donné mon esclave à mon époux. » Et elle lui donna le nom d’Issa’khar. » (30 – 17 et 18). Il est donc dit ici qu’en contrepartie de ce que Léa ait donné, en tant qu’épouse, sa servante Zilpa à Jacob, l’Eternel l’a récompensée et lui a donné un fils : Issa’khar qui contient le radical sa’khar (récompense ou salaire).
La question qui se pose est criante : quel lien y a-t-il entre ce que Léa a fait – avoir donné sa servante à Jacob – et la façon dont D_ieu l’a rétribuée sur cette action en lui donnant un fils ? Si Léa y a vu une récompense, c’est que nécessairement les choses sont liées. Léa, Zilpa, Jacob, Issa’khar, comment démêler l’écheveau ?
Voici une proposition de lecture. Lorsque Léa a accepté de donner à Jacob sa servante Zilpa : elle a accepté de faire rentrer dans son couple la plus grande des rivalités, celle avec une autre femme, avec qui elle devra désormais partager son époux. Alors que rien ne l’y « obligeait » puisqu’elle avait déjà des enfants, elle est tout de même sortie de son environnement maitrisé pour y incorporer une donnée connue pour être nocive : une rivale. Pour cet effort, D_ieu l’a récompensée et lui a, à son tour, mida kénégued mida (mesure contre mesure) offert une rivalité : un enfant. Oui, l’enfant est un rival de son parent. Si l’adolescence met souvent ce fait en relief, en réalité, dès sa naissance l’enfant est un rival pour son parent. Car il faut à tout prix éviter de faire de son enfant une extension de soi, un être qui suivrait le programme que nous voudrions pour lui (médecine, violon et handball !). L’enfant n’est pas non plus un ami avec qui on partage des « choses d’amis. » Pour celles-là il y a, justement, les amis. Ce que l’enfant est, c’est ce qui le fait singulier et unique. Enfant d’abord, adolescent bientôt, adulte enfin l’Homme est un être qui a une volonté propre, une vision singulière, des rêves personnels. Cette particularité est déjà présente au cœur de l’adulte en devenir qu’est l’enfant. Le rôle du parent c’est celui d’accompagnateur. « Eduque le jeune suivant son chemin » dit Salomon dans ses Proverbes (22 :6). Suivant son chemin même s’il serait bien différent de celui que nous voudrions pour lui. Il faut donc accepter d’être en rivalité avec son enfant pour lui permettre d’exploiter pleinement son potentiel spécifique. Un de mes maitres a eu à ce sujet une phrase magnifique : « il ne s’agit pas de réussir l’éducation de ses enfants. Il s’agit de ne pas les abimer. » Donc l’enfant est un rival. Mais qui ne désire pas un tel rival ? C’est cela qu’a dit Léa : « j’ai accepté de vivre la pire des rivalités. Merci mon D_ieu de m’avoir récompensée de la plus belle des rivalités en me donnant un fils. »
Ce rappel à la place du parent par rapport à celle de l’enfant n’est pas inutile dans un monde qui s’évertue à gommer les différences avec, par exemple, des petites filles que l’on habille comme des adolescentes et des parents qui s’infantilisent dans leurs façons d’être et de penser. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que les défis éducationnels soient si importants lorsque, insidieusement, les effacements de frontières qui se sont invités partout (centralisation, mondialisation, acharnement à la parité homme-femme, masculinisation du féminin, féminisation du masculin etc.) aient réussi à destituer la place de l’adulte aux yeux de l’enfant. La jeunesse se croit libre, elle est en fait sans repères. Reprenons en main la place qui est la nôtre pour aider nos enfants à découvrir la leur.
La Torah qui n’a pas changé prétend apporter des réponses actuelles aux défis nouveaux de la société. Pourvu que l’on se tourne vers elle. Pourvu que l’on accepte de sortir de notre pensée libre qui évolue au gré des politiques, des designers, des libres-penseurs et autres diseurs d’avenir – ce qui, au passage, défait toute liberté de la pensée que nous croyons libre ; mais ça, c’est un autre débat – pour accepter de repenser nos acquis à l’aune des messages actualisés de la Torah. C’est qu’il faut comprendre, et ce n’est pas une injonction religieuse mais juste la découverte de celles et ceux qui auront accepté de sortir pour rentrer dans le Livre que : « Il n’est d’homme libre que celui qui s’occupe de Torah » (Maximes des Pères 6 :2).
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat