SAMEDI 15 JANVIER 2022
SAMEDI 15 JANVIER 2022 - בשלח – Béchala’h - Grandeur et décadence
בשלח – Béchala’h
Grandeur et décadence
Dans la Paracha précédente, les enfants d’Israel sortent d’Egypte. Dans la suivante, ils reçoivent la Torah. Entre les deux, Béchala’h (Exode 13 :17 – 17 :16) fait la transition. Et comme souvent, la phase transitionnelle contient des ambivalences. D’une part, nous assistons à la traversée de la Mer des Joncs avec son cortège de prodiges, évènements qui mènent les enfants d’Israel à « avoir foi en D_ieu et en Moïse son serviteur » (14 :31) et a chanté leur reconnaissance (15 :1 – 21). D’autre part, sans aucun intermède, les voici à se plaindre du manque d’eau (15 :24), et surtout du manque de nourriture : « Que ne sommes-nous morts de la main du Seigneur, dans le pays d’Egypte, assis près des marmites de viande et nous rassasiant de pain ; tandis que vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple » (16 :3). « Surtout » puisqu’au-delà de la requête compréhensible à ce que manque soit comblé, ils pêchent dans la forme et dans la nostalgie que, déjà, ils ont de l'Egypte. Et bien que chaque fois, solution leur soit apportée, par une branche de bois qui radoucit les eaux amères de Mara (15 :25) et par la Manne qui descend du ciel et va les accompagner durant les quarante années d’errance dans le désert (16 :35), ils réitèrent leurs protestations, avec le manque d’eau en allant jusqu’à s’insurger contre Moïse. Ils lui demandent alors : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Egypte pour me tuer, et mes fils, et mes troupeaux, par la soif ? » (17 :3), question qui va retentir au point d’imprimer au lieu la marque de l’insurrection (17 :7).
Si tant est la chose possible, de quelle façon peut-on contenir ces ambivalences qui traversent le faisceau des sentiments ? N’y a-t-il pas de moyen de garder le fil de l’attitude exemplaire, acquis durant les séquences spectaculaires et prodigieuses ?
En réalité, le message très humain que la Torah prône ici, c’est justement de montrer la normalisation des états contraires présents dans l’homme. Ce n’est pas parce qu’il est impressionné durant la traversée de la Mer qu’il conserve les marques de cette impression au-delà du vécu de l’évènement. Cela est la norme. Si on qualifie cette norme faiblesse, cette faiblesse est sa force. Car elle l’amène à être en mouvement permanent. Nul immobilisme n’est bon, même pas celui qui a lieu au bon endroit.
Cette idée, la Torah a eu le courage de la mettre en exergue en montrant l’histoire telle qu’elle a été vécue, pas en ne laissant apparaitre que ses pages les plus glorieuses. Ça en vient presque à tempérer la place du prodige lui-même puisqu’il est rattrapé par la vie normale, un peu mesquine mais somme toute humaine des acteurs de cette histoire. Et de ce fait, il est d’autant plus aisé de s’y identifier puisque nous contenons nous tous des parts de lumière et des parts d’ombre.
Ces écarts de transports cohabitent à l’intérieur même de l’évènement, avant même que lui succède l’étape suivante. Le Midrash rapporte en effet que durant la Traversée de la Mer « Ruben disait à Siméon : « En Egypte – de la boue ; en mer – de la boue. En Egypte – par le mortier et les briques ; en mer – la boue de la grande eau » (Chémot Raba 24 :1). On peut être en train de marcher sur le sol marin, les murs d’eaux dressés de part et d’autre et se plaindre de la boue qui accrochent les semelles ! Ça aussi, c’est l’homme.
D’ailleurs dès le premier verset de la Paracha, on trouve trace de cette complexité puisque D_ieu fait prendre à Israel un chemin détourné « de peur que le peuple regrette en voyant la guerre et retourne en Egypte » (13 :17). L’Eternel, qui pourtant prévoit de les impressionner par la traversée de la Mer, sait aussi qu’une fois le rideau baissé, chacun retrouvera le chemin de chez soi avec, au mieux, des souvenirs à raconter à ses petits-enfants. Le nom même de la Paracha le dit puisque « Lorsque Pharaon eut renvoyé le peuple » celui-ci est comme privé de cadre. Et dans ce contexte, tous les extrêmes peuvent se rencontrer.
On peut aussi le voir dans le mot par lequel débute la Paracha « Vayéhi » qui est écrit lors de contextes malheureux, ainsi que le dit le Talmud (Méguila 10b). Malheureux certes, parce que le péril menace, avec les Egyptiens aux trousses d’Israel, qui est le contexte immédiat. Mais malheureux aussi parce que l’ambivalence décrite dans toute la Paracha empêche un positionnement stable. Cette difficulté, c’est l’être humain.
Une fois cela admis, se comprend l’intérêt du don de la Torah qui intervient dans Yitro, la Paracha suivante. En effet, sinon une doctrine consultable au-delà de l’évènement dont les feux sont éteints, il ne subsiste rien du spectacle de son et lumière. Voilà pourquoi, il a été nécessaire de doter Israel et par la même, l’humanité entière, de la Torah. Pour que dans ces flots impétueux dans lesquels l’homme seul ne peut que se noyer – même durant sa traversée à sec de sa mer asséchée – il puisse trouver un point d’ancrage stable auquel se rattacher.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat