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SAMEDI 16 OCTOBRE 2021

SAMEDI 16 OCTOBRE 2021 - Le’kh Lé’kha

Le’kh Lé’kha

 Abraham où le questionnement permanent

Dans notre paracha, Le’kh Le’kha (Genèse 12 :1 – 17 :27), nous voyons apparaitre son personnage principal, Abraham, et l’épopée de celui qui fut le premier croyant. Dans le monde idolâtre d’alors, Abram – ainsi appelé avant que, plus tard, la lettre « hé » ne lui soit rajoutée – a été un « réac » de la première heure. Non pas un réactionnaire par doctrine, sorte de défenseur du contre-pied permanant, mais un homme gagné par ses questions. Souvent, parce que c’est plus confortable, on feint d’ignorer les phénomènes interrogateurs se disant incapables d’assumer les réponses. Alors la vie continue avec ses points d’interrogation. D’Abraham, le Talmud dit « à trois ans, il connut son Créateur » (Nédarim 32a). Certains, adeptes de la vision miraculeuse permanente, voient dans la précocité intellectuelle du « premier juif » une sorte de disposition formidable dont il aurait été doté. Pour notre part, nous préférons y voir le questionnement caractéristique d’un enfant. Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Pourquoi le vent et le soleil ? Ce qui a du caractérisé le premier de nos Patriarches, c’est de n’avoir pas tu ses questions. Il a préféré garder la forme incurvée, tortueuse du point d’interrogation (?) à celle simplifiée du point d’exclamation (!), voire pire, à la finitude du point (.). La posture de l’adulte qui, « assagi » par les évènements de la vie, fait le deuil de son enfance en emballant ses questionnements dans une sorte de naïveté candide, n’est pas vraiment une réponse mature à la maturité de ses questions d’enfant. Interroger, taquiner, perturber les choses et les gens est la base des plus grandes découvertes. Accepter, avancer, faire oui-oui de la tête ne correspond pas à la singularité formidable du pourquoi. Abraham, après s’être posé tous les « pourquoi » du monde, peut-être comme tant d’autres enfants avec lui ne s’est pas suffi des « parce que » qu’on a bien voulu lui dire. Ses questions d’enfants furent des questions adultes sans le radical « d apostrophe » avant le mot. En ce sens où il leur a accordé l’importance qu’elles méritaient. 

Depuis Abraham, le peuple juif est un peuple qui s’interroge. Et un peuple qui interroge. Alexandre Jardin dans son livre « Des gens très bien » écrit, concernant le projet hitlérien : « Quel projet terrible que de vouloir exterminer des points d’interrogation ! »

Certes. Cela fut terrible. Et cela est heureux de le reconnaitre. C’est d’ailleurs encore l’une des causes de l’antisémitisme, cet étonnement que provoquent les juifs dans l’environnement normalisé de la bien-pensance chrétienne. Et évidemment, toute forme de discrimination doit être condamnée. 

Mais cela ne suffit pas. Cela ne me suffit pas. Car si l’on peut dodeliner de la tête en entendant que l’on dise de soi : « tu es différent » et que l’on puisse l’assumer n’est pas suffisant pour un descendant d’Abraham. Le discours se doit d’être honnête, incisif, même s’il taille dans la chair. Ou justement parce qu’il taille dans la chair. En vrai, nous les juifs, où sommes-nous ? Avons-nous continué de nous poser des questions ? Sommes-nous dans nos vies à poursuivre l’œuvre abrahamique en allant au bout des questionnements ? Est-ce-que nous n’avons pas nous-aussi choisi le confort du point d’exclamation au détriment de celui qui interroge ? 

D’aucuns continueront de dire : les voilà, toujours les mêmes, à ne jamais cesser leurs sempiternelles questions. A chercher toujours le point où les rails bifurquent. Laissons-les parler. De toutes façons, il est impossible de les faire taire. 

Mais ayons l’honnêteté de reconnaitre, nous autres, descendants d’Abraham, que malgré tous les « pourquoi » que l’on dise encore de nous, nous choisissons souvent le confort du « parce que. » C’est que le conformisme est un cocon. Mais la révolution est papillon. Non pas qu’elle ait su apporter des solutions aux questions. La révolution est grande parce qu’elle aura assumé ses questions au grand-jour.  

En lieu de conclusion, un aveu : je ne suis pas Abraham. 

Je suis descendant d’Abraham.

Et si je suis immensément fier de de descendre de lui, je dois être vigilant à ne pas descendre d’avec lui.

Ensemble méditons à garder constant cet état de fait. Ce qui ne veux pas dire qu’il le demeurera. Mais sans cette attention, il est inéluctable que l’on s’égarera, que l’on se perdra même. Et ce sera une victoire pour les antisémites qui auront tant voulu redresser la courbure de nos points d’interrogation que nous serons devenus, conformes à la masse, droits comme des points d’exclamation. Au lieu des « quoi ? », juste bons à rester cois… Ce silence-là n’est pas d’or puisque justement il aura fait taire le potentiel singulier qui nous habite. Mais : assumons notre différence et tentons d’endiguer les brèches dans les points d’interrogation.  

Ce texte résonne du bouleversement qui a été le mien au moment où je tins le plume. Et que j’espère encore garder longtemps. Car on ne sera jamais autant utile que quand on se posera les bonnes questions. Ne me demandez pas pourquoi !

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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