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PARACHA DE LA SEMAINE

SAMEDI 18 DÉCEMBRE 2021 - Vayé’hi ou le choix de bénir

Vayé’hi ou le choix de bénir

Avant de quitter ce monde, Jacob, dans cette Paracha, Vayé’hi (Genèse 47 :28 – 50 :26), parle à ses descendants. Ce sont d’abord des bénédictions à ses petits-enfants, puis plus tard, à l’instant ultime, des remontrances et des conseils à ses propres enfants. Qui peut se passer des conseils et des paroles de ses anciens ?

Les mots sont concis et précis et recèlent une portée prophétique puisque, pour dire, Jacob interroge l’avenir spécifique de celui à qui il s’adresse afin de lui livrer une parole qui est en correspondance. Ainsi voyant Samson descendre de Dan, il dit de lui : « Que Dan soit un serpent sur le chemin, une vipère sur le sentier qui mord les talons du cheval, faisant tomber son cavalier en arrière » (49 :17). Il fait référence ici à l’épisode durant lequel Samson, rendu aveugle par les Philistins, écartera d’en bas, les colonnes soutenant la terrasse sur laquelle se trouvaient des milliers de Philistins, provoquant ainsi leur chute (Juges 16). Ou encore parce que, sur le territoire d’Asher pousseront des d’oliviers, il dit de lui « que son pain sera gras et qu’il livrera des mets royaux » (49 : 20). 

Avant de s’arrêter sur l’une de ces paroles, il convient de préciser la dimension qu’elles occupent. En se basant sur la logique, nous pouvons affirmer que Jacob ne décrète pas l’avenir car alors pourquoi déciderait-il d’octroyer tel avantage à l’un et telle autre destinée moins glorieuse à l’autre. Mais Jacob agit à deux niveaux : d’une part il informe chacun de sa nature profonde, ce qui équivaut à une bénédiction ou comme l’a dit un ami d’enfance (qui me fait l’honneur de me lire, merci Michaël !) « Il leur a peut-être évité quarante années de psychanalyse ! » D’autre part il leur transmet, de manière prophétique, l’émergence de tel et tel personnages parmi leurs descendants qui vaut indication de la présence actuelledu potentiel l’y conduisant. 

Toutefois ce propos semble dire une chose et son contraire. D’un côté est écartée l’hypothèse selon laquelle ce serait la parole de Jacob qui produirait les effets auxquels elle renvoie, cela entre autres, afin d’éviter le déterminisme qui abolit le libre-arbitre. Pourtant de l’autre, le récit prophétique affirme un certain avenir pouvant être taxé d’accablant pour la notion de libre-arbitre. Ou autrement dit, est-ce que l’avenir déjà écrit n’empêche-t-il pas que le changement au présent ne puisse conduire à une destinée différente ? 

Cette question grave mérite d’être traitée de façon sérieuse et dans un contexte qui lui serait dédié. Pour autant, il semble déjà possible de distinguer les deux situations. Si Jacob décrète l’avenir à son fils et pour son fils, il est inéluctable qu’il ait lieu car le prédicateur, la prédiction et celui à qui elle est destinée sont réunis en un seul lieu et en un seul temps. La réalisation serait donc impérative puisqu’attendue. C’est d’ailleurs sur ce modèle-là qu’est évalué un homme se présentant comme porteur d’une parole prophétique afin de distinguer le faux du vrai prophète (Cf. Deutéronome, chap. 18).

En revanche, lorsque les prophètes ont prédit quelque chose dans un avenir plus ou moins éloigné et à propos de générations à venir, bien que forcément leurs paroles aient été dites devant les personnes présentes, elles concernaient des individus qui ne sont pas encore. Comme ici, quand Jacob parle à Dan de Samson, son descendant. Dans ce cas, étant donné que la prophétie ne se produira pas pour la personne à qui elle est dite, il n’y a pas d’exigence d’une quelconque action spécifique pour celui-là. Un faisceau de scénario est possible pour lui puisque de toutes façons, l’aboutissement transitera par l’ensemble des situations et des acteurs ultérieurs. Or ainsi que Jérémie le dit de D_ieu « Grand dans le dessein, souverain dans l’exécution, tes yeux sont ouverts sur toutes les voies des humains pour rémunérer chacun selon ses voies et selon le mérite de ses œuvres » (Jérémie 32 :19), il Lui est possible d’utiliser l’un ou l’autre des choix faits aujourd’hui pour mener cette action aux mains des acteurs suivants - pour qui, à nouveau, s’ouvre le panel des possibilités – afin d’amener la prophétie à se concrétiser. Le libre-arbitre est donc maintenu pour chacun des maillons de la chaîne et c’est ce qui fait la différence avec la situation précédente.   

Après cette invitation à la réflexion, arrêtons-nous sur l’une des paroles de Jacob. Lorsqu’il bénit ses petits-enfants, lors du fameux épisode des mains entrecroisées, Jacob dit : « Il les bénit alors, et il dit : « par toi Israel bénira en disant Dieu te fasse devenir comme Ephraïm et Manassé » il plaça ainsi Ephraïm avant Manassé. » (48 :20). Des mots « par toi Israel bénira » certains commentateurs apprennent que Jacob définit alors que ce serait selon cette formule que la bénédiction sera dite. D’où la coutume pour les pères de bénir les fils, le vendredi soir, en disant : « Que D_ieu te fasse devenir comme Ephraïm et Manassé. » (Aux filles on dit : Que D_ieu te fasse devenir comme Sarah, Rebecca, Rachel et Léa.) On finit par la bénédiction des Cohanim. 

Réfléchissons au contenu de la bénédiction des fils, celle dont parle Jacob. Pourquoi a-t-il choisi Ephraïm et Manassé comme référence de bénédiction ? N’y a-t-il pas d’autres personnages plus emblématiques auxquels se référer ?

J’ai un jour entendu l’explication suivante. Le livre de la Genèse est empli de frères, donc de « fraternités » mais celles-ci sont au choix, fratricides, conflictuelles, rusées ou haineuses. Avec Ephraïm et Manassé, nous assistons non seulement à deux frères qui vivent en bonne intelligence mais ces deux-là ne font pas cas de l’avantage relevé (et non décrété) chez Ephraïm le plus jeune sur Manassé son ainé. La main droite que Jacob pose sur la tête du plus jeune, le fait d’avoir « placé Ephraïm avant Manassé » dans la bénédiction provoque une réaction extraordinaire : le silence. Pas de vindicte à l’injustice pour l’ainé, pas de fanfaronnade suffisante pour le cadet. Chacun accepte avec intelligence le rôle qui lui est imparti. Jacob qui depuis la matrice s’est disputé avec Esaü, lui qui a vécu dans sa chair et dans ses larmes les jalousies de ses fils, a voulu pour ses descendants, les enfants d’Israel, la paix de frères en paix. 

Est-ce-que cette bénédiction s’est réalisé ? La réponse n’est pas celle de l’Histoire sur laquelle il est impossible de revenir. Mais c’est celle du présent sur lequel nous avons le devoir d’agir. Car si par bénédiction, certains n’entendent que la forme passive, celle d’être béni, il est urgent de comprendre que c’est dans sa forme active, celle de bénir, que se situe l’avenir. 

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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