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SAMEDI 18 JUIN 2022

SAMEDI 18 JUIN 2022 - Béhaalot’kha – בהעלתך - Qu’est-ce que l’humilité ?

Béhaalot’kha – בהעלתך

Qu’est-ce que l’humilité ?

La Paracha Béhaalot’kha (Nombres 8 :1 – 12 :16) fourmille de lois et d’épisodes qui méritent chacun que l’on s’y arrête. Dans le cadre de cet écrit, un choix – toujours difficile – est nécessairement entrepris. Mais, rappelons-le, une lecture de la totalité du péricope permettra de mieux saisir les enjeux que soulèvent les détails.

A la fin de la section, l’Ecriture relate un épisode dans lequel interviennent les membres de la fratrie, probablement la plus prestigieuse d’Israel. 

« Myriam et Aaron parlèrent contre Moïse, au sujet de la femme couchite qu’il avait épousée, car il avait épousée une femme couchite » (12 :1).

Ce mot, couchite est à comprendre par : très belle (Midrash), mais là n’est pas le sujet. Rachi nous révèle la teneur du propos que Myriam – son instigatrice - a porté contre Moïse. Pour en saisir les tenants et les aboutissants, il faut remonter un peu plus haut. On y lit que, en réponse à la requête de Moïse de vouloir être secondé dans ses œuvres pour le peuple, D_ieu lui a demandé de réunir soixante-dix hommes afin d’ « accroitre une partie de l’esprit qui est sur toi (Moïse) et de le mettre sur eux » (11 :17). « Lorsque l’esprit eut reposé sur eux, ils prophétisèrent, mais ils ne le firent plus à nouveau » (11 :25). Toutefois deux hommes, Eldad et Médad, qui avaient été parmi les inscrits mais non sélectionnés, « restèrent en arrière dans le camp […] et prophétisèrent » (11 :26). Lorsque l’on rapporta cela à Moïse, Tsipora son épouse plaignit les épouses de ces deux en disant : « Dommage pour elles, leurs époux vont devoir se séparer d’elles ainsi qu’a dû le faire mon mari. » Myriam qui apprit ainsi que Moïse avait divorcé de sa femme Tsipora, relata le fait à Aaron son frère, ne comprenant pas cette piété, exagérée selon elle, car « Est-ce seulement à Moïse que Hachem a parlé ? Pourtant, à nous également, Il a parlé ! » (12 :2) « mais nous n’avons pas cessé pour autant d’avoir une vie intime » (Rachi au nom du Midrash Tan’houma).

Hachem est soudainement apparu aux trois protagonistes, s’adressant à Myriam et à Aaron pour leur faire le reproche de leur parole (12 :4). En ayant assimilé Moïse à l’ensemble des prophètes, ils n’ont pas saisi l’ampleur de sa dimension. Or « Moïse mon serviteur, de toute maison, c’est le plus fidèle » (12 :7). A lui « Hachem parle face à face, dans une claire apparition et sans énigmes […]. Pourquoi donc n’avez-vous pas craint de parler de mon serviteur, de Moïse ? » (12 :7-8). D’ailleurs, c’est sur ordre Divin, que Moïse s’est séparé de sa femme (Rachi). Suite à la colère de D_ieu, « voici que Myriam se trouva couverte de lèpre, blanche comme la neige » et que « Aaron la vit lépreuse » (12 :10). 

La lèpre est assimilée aux fautes du langage, la chose est bien connue. Et pour Rabbi Moché Alchi’kh, lorsque la Torah demande « Garde toi de la lèpre » (Deutéronome 24 :8), elle donne précisément ordre de ne pas commettre de médisance, ni de dire du lashon hara (mauvaise parole). Myriam seule a été frappée car c’est elle qui a parlé, mais Aaron qui a recueilli ses paroles a dû subir la vision de sa sœur atteinte de lèpre. Peut-être que cela lui a été encore plus pénible puisque la Torah souligne qu’Aaron la vit lépreuse.

Toutefois, il y a lieu de s’interroger. En quoi Myriam a-t-elle fauté lorsqu’elle n’a pas relevé la grandeur de son frère ? N’est-il pas dit de lui, et justement dans ce contexte « Or, cet homme, Moïse était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur la terre » (12 :3) ? Et selon le Rav Lifshits, à propos de la modestie : « La personne humble n’est pas censée savoir qu’elle est humble et son entourage ne connait pas sa modestie » (Za’halti vaïra, Bamidbar, p. 75). Puisqu’il en est ainsi, que Moïse figure être le personnage se trouvant au paroxysme (!) de l’humilité, peut-on décemment reprocher à Myriam et à Aaron de n’avoir pas décelé ce qu’il s’est évertué à dissimuler ? Bien-sûr, nous saisissons que l’ampleur de cette lèpre qui va durer sept jours – et qui va immobiliser le peuple tout entier par égard pour Myriam la prophétesse - participe pleinement du principe selon lequel « Le Saint, béni soit-il fait preuve de rigueur, avec ceux qui l’entourent, comme de l’épaisseur du cheveu » (TB Baba Kama 50a). Malgré cela, il nous faut saisir, à un niveau par nous appréhendable, la dimension de la faute. 

La réponse peut apparaitre de l’étude d’un Rachi, du moins telle que nous la proposons ici. Hachem, dans le verset 8 déjà cité, pose cette question : « … et pourquoi n’avez-vous pas craint de parler de mon serviteur, de Moïse ? » Le double emploi de la préposition de interpelle. Rachi qui s’en étonne explique le verset ainsi. « Pourquoi n’avez-vous pas craint de parler de mon serviteur, quand bien même il n’eut été Moïse ; et comment l’avez-vous fait de Moïse, hormis le fait qu’il est mon serviteur ? - chaque facteur étant suffisant à provoquer la question -  à plus forte raison ici. » Rachi conclut de ces mots : « Et si vous venez à dire (pour vous dédouaner) ‘Je ne connais pas ses actes’, celle-ci est plus grave que la première. » C’est-à-dire qu’ignorer la teneur des actes de Moïse est une erreur qui surpasse d’avoir parlé de lui. Or - il nous faut les défendre pour saisir l’enjeu - à l’aune de l’humilité légendaire de Moïse qui assurément a dû tout faire pour dissimuler la dimension de ses actes, comment peut-on porter sur Myriam et Aaron un tel reproche ? 

La réponse, Rachi la donne. Lorsque l’on ne sait pas, on ne parle pas. L’erreur de la parole réside alors moins dans le fait qu’elle a été exprimée que dans celui qu’elle l’a été dans l’ignorance des choses. Myriam aurait dû savoir la grandeur de son frère. Peut-être parce que son frère, plus sûrement encore parce que Moché Rabbénou, dirigeant de tout le peuple, assurément parce que prophétesse. Mais cette méconnaissance n’était pas pour elle préjudiciable tant qu’elle n’était pas verbalisée. Le verbe a mis en relief ce qu’elle ne savait pas.

C’est peut-être cela qui vaut au médisant d’être frappé de la lèpre car, isolé comme doit l’être le lépreux, il n’a plus à qui parler. Ses pensées sont toujours avec lui puisqu’elles sont en lui, mais il n’est plus en condition de pouvoir les exprimer. Et c’est probablement une des leçons les plus équivoque sur le langage : on peut « survivre » à son envie de parler. Cela, c’est assurément une grande preuve d’humilité. 

Chabbat Chalom

Binyamin AFRIAT

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