SAMEDI 23 JUILLET 2022
SAMEDI 23 JUILLET 2022 - Pin’has – פנחס - LES FILLES DE TSÉLOF'HAD ET LE DROIT DE REVENDIQUER
Pin’has – פנחס
Les filles de Tsélof’had et le droit de revendiquer
Certains voient dans le judaïsme une posture figée, par conséquent archaïque, par conséquent dépassée. On peut comprendre ce point de vue à l’aune du manque de souplesse, non celui réel mais celui supposément attendu, de la part de la Torah, parce qu’elle serait rigide. Sans prétendre ici traiter de la question qui mérite un débat entier, nous pouvons déjà rappeler à tout un chacun la rigueur de la loi, quelle qu’elle soit, la loi civile s’entend, qui, si elle est discutée, c’est en amont de son établissement. Une fois établie, elle est appliquée en dépit des réticences et autre questionnements qui demeureraient, voire qui, plus tard, apparaitraient. Pourquoi donc n’accepterions-nous pas de la même façon la position de la Hala’kha (loi juive) ? Est-ce que la Torah ne serait pas au moins aussi importante que la Loi pour que lui soit accordée le crédit de sa parole clairement établie et légiférée ? Cette question participe du débat qui doit avoir lieu autour de ces thématiques.
Toutefois, si cette réflexion préliminaire introduit le propos sur la Paracha Pin’has (Nombres 25 :10 – 30 :1), c’est parce que l’on y retrouve justement cette souplesse dont on suppose la Torah départie. Historiquement, les enfants d’Israel se trouvent à la fin des quarante années dans le désert (env. -1272 EC) et géographiquement, non loin de la frontière de la terre de Canaan. C’est ainsi qu’après avoir procédé au dénombrement des enfants d’Israel, tribu par tribu (26 :1 – 51) qui, en totalité atteint le nombre de six cent un mille sept cent trente, la Torah indique la façon dont se déroulera le partage de la terre, une fois conquise. Elle sera divisée en douze et chaque parcelle remise, par le biais du tirage au sort, à chaque tribu selon sa dimension (Cf. Rachi sur 26 :54).
C’est là qu’apparaissent les cinq filles de Tsélof’had, ‘un homme mort dans le désert, ne faisant pas partie du groupe de Kora’h mais « qui était mort de sa faute » (27 :3) sans avoir laissé de fils.’ En sachant que seuls les fils héritent et ne voulant pas que disparaisse le nom de leur père du sein de sa famille, elles requièrent une dérogation et demandent à prendre possession de la parcelle de terre qui doit lui échoir, parmi les frères de leur père (27 :3 – 4). Moïse qui présente à Hachem leur requête s’entend répondre que celle-ci est justifiée et qu’effectivement elles vont hériter. Suite à quoi, la Torah déroule les lois de l’héritage avec, en exergue, celle pour laquelle les filles de Tsélof’had auront fait, dirions-nous aujourd’hui, jurisprudence. « Et aux enfants d’Israel tu parleras en disant : ‘un homme qui mourra sans laisser de fils, on transfèrera son patrimoine à sa fille’ » (27 :8). Et la Torah de poursuivre l’ensemble des lois sur l’héritage qui donneront lieu, dans le traité Baba Batra à l’élaboration d’un code fourni sur la transmission du patrimoine en cas de décès. Enfin, afin d’éviter que le patrimoine des filles de Tsélof’had migre vers d’autres tribus, elles auront encore comme recommandation d’épouser leurs cousins, issus eux-aussi de Ménaché, la tribu de leur père (Cf. chap. 36).
Ce qui mérite ici d’être souligné, c’est le moyen qui aura permis que les lois sur l’héritage soient édictées. En effet, sans l’intervention éclairée des filles de Tsélof’had, la loi faisant des filles des héritières, n’était pas été décidée. Il a fallu qu’elles revendiquent leurs droits pour que ceux-ci soient considérés et, dans la foulée, engendrent des lois pour la société entière. Nous voyons donc clairement que la Torah est à l’écoute des besoins humains et sait se faire violence afin de satisfaire, autant que faire se peut, à ces besoins individuels et sociétaux.
C’est également la démarche qui aura permis à ce que soit promulguée la loi dite de « Pessa’h chéni » (Nombres 9 :6-7) puisque celle-ci est venue répondre aux besoins des personnes qui ne pouvaient s’associer à la célébration du Pessa’h. Dans ce cas aussi, sans la volonté de ces personnes de s’insérer à l’intérieur du système, elles auraient eu à accepter de ne pas en faire partie tout en étant « excusées. » Mais elles ont pris leur destin en main et ont trouvé oreille attentive dans la Torah.
En approfondissant l’un des commentaires sur le sujet des filles de Tsélof’had, nous retrouvons d’ailleurs l’idée de la possibilité donnée à l’Homme de présenter ses requêtes. Lorsque celles-ci sont venues trouver Moïse, elles lui ont relaté que ce n’était pas dans le cadre de la rébellion fomentée par Kora’h que leur père était mort mais que « par sa faute il est mort » (27 :3).
Sur place Sforno commente :
Par sa faute il est mort : La châtiment pour sa faute était de mourir, non que de ses héritiers soit perdu son patrimoine. »
Cette affirmation mérite que l’on s’y arrête. S’il est évident que pour la faute de la profanation du Chabbat – ce qu’il fit –, le châtiment prévu concerne la personne et non ses biens, il n’empêche que l’on peut tout à fait admettre que cette perte soit une conséquence, sorte de dommage collatéral sous-jacent à la punition. La justice divine en effet prend en considération l’ensemble des tenants et des aboutissants lorsqu’elle s’applique. Comment Sforno peut-il alors faires affirmer avec conviction aux filles de Tsélof’had que cette conséquence n’était pas au programme ?
Il semblerait que la réponse réside dans la question. Car à partir du moment où il devient possible à l’Homme d’opposer un recours à la justice et que cette démarche puisse aboutir, il devient justifié que ce recours ait lieu et que, par conséquent, soient redéfinis les contours de la punition. Les revendications qui ont abouti prouvent qu’elles étaient légitimes. Mieux, en amont de leur aboutissement, celui-là même que nous ignorons s’il va avoir lieu, il est déjà légitime de demander, de questionner, de proposer car, correctement étayées, ces démarches seront susceptibles de produire un enrichissement pour soi, voire pour tous. C’est la force de la conviction des filles de Tsélof’had, c’est celle que nous devons avoir lorsque l’on interroge la loi de la Torah, lorsque cela est fait dans le respect.
Finalement, la pseudo-rigidité que d’aucuns confèrent à la Torah réside surtout dans leur ignorance de ce qu’ils savent d’elles dans les détails. Mais également dans ce qu’ils n’ont pas saisi que ce n’est pas « parce que » la loi est divine et non humaine qu’elle peut être discutée, voire abrogée. Les sages n’ont pas peur des questions, quelles qu’elles soient. Avec l’objectivité et le respect nécessaires, tout texte peut être questionné. Que la réflexion n’aboutisse pas là où nous aimerions qu’elle aboutisse ne peut heurter que les esprits fragiles qui n’auront pas réalisé, qu’ils ne posent pas de questions mais assènent des affirmations auxquelles ils ont donné la forme tortueuse du point d’interrogation. Or ne questionne vraiment que celui qui étudie.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat