SAMEDI 25 FÉVRIER
SAMEDI 25 FÉVRIER 2023 - Térouma - Le cœur est au cœur du Temple, au cœur de la synagogue
La section de cette semaine, Térouma (Exode 25 :1 – 27 :19), relate l’ordre donné par Hachem de fabriquer le Mishkan (Tabernacle) qui est le sanctuaire qui a accompagné Israel dès ses débuts, ainsi que l’ensemble des éléments le constituant. Plus loin, la section Vayakh’èl (35 :1 – 38 :20) racontera la réalisation précise de cet ordre, chaque élément ayant été fabriqué conformément à la volonté de D_ieu. Israel ainsi est un peu comme en train de construire l’ancêtre de ses synagogues. Et au contraire, ce sont nos synagogues qui sont qualifiées de « Mikdash méat » d’ « un peu du Sanctuaire. » Dans cette perspective, il semble logique de s’imprégner de l’état d’esprit qui a été celui de nos ancêtres dans le désert afin de se l’approprier pour la construction et le fonctionnement de nos synagogues, de nos shoules, si on le dit en Yiddish. Car si tous les jours nous espérons et prions pour le retour du Temple de Jérusalem, foyer de rayonnement pour l’Humanité, c’est d’abord ces « possibilités de temples » que sont nos synagogues que nous devons respecter, honorer et faire vivre.
Il est un organe du corps qui est mentionné pas moins de treize fois à propos de l’ordre et de la réalisation du Tabernacle : le cœur. Pour ainsi dire, le cœur est… au cœur du sujet. On parle ainsi de « don du cœur » (25 :2 ; 35 :5 ; 35 :22 ; 35 :29), de « sagesse du cœur » (35 :10 ; 35 :25 ; 35 :35 ; 36 :1 ; 36 :2 ; 36 :8), de celui qui est « porté par son cœur » (35 :21 ; 35 :26), de « l’enseignement mis dans le cœur » des architectes (35 :34).
Sans aucun doute, il est nécessaire de comprendre pourquoi la Torah a tant de fois évoqué l’élan du cœur à propos, précisément, du Sanctuaire. Toutefois, il est une évidence qui saute au visage et c’est sur celle-là que ce texte déjà, a l’intention de s’arrêter. Partout, toujours, on parle de cœur lorsque l’on parle d’amour. C’est valable aussi dans l’autre sens : l’amour renvoie au cœur. Hachem désire donc que ce soit avec amour que l’on accueille l’ordre qu’il a porté à Son peuple, avec amour encore que l’on se mobilise pour réunir les compétences et les matériaux pour la fabrication du Mishkan, et avec l’esprit pétri d’amour - qui semble correspondre à la « sagesse du cœur » - que nous devons vivre l’existence du Sanctuaire. Sans faire appel à la moindre exégèse, la lecture des versets interpelle en premier chef le cœur des hommes et des femmes.
Pour quelle raison relever ce fait ?
Tout d’abord, parce que, ce que la Torah enseigne mérite d’être entendu et servir d’inspiration. Hachem n’attend pas tant que l’édifice soit beau, qu’il soit érigé avec le cœur, avec amour. Ne compte pas le résultat matériel si la chair du cœur n’a pas été mêlée à l’or de l’arche, n’est pas en symbiose avec les socles d’argent, n’enlace pas de ses deux bras les piliers de bois précieux. C’est ainsi qu’Israel a érigé « la première résidence d’Hachem sur terre », c’est toujours l’amour qui sera à même de provoquer la venue du Messie et, avec lui, la reconstruction du Troisième Temple.
Mais il est une autre raison, elle, plus personnelle, plus spécifique, plus locale, qui me fait porter ce discours devant vous. Je vous prie d’entendre mon cœur qui bat, pour vous, pour la Communauté avant, pendant et après ce que je vais dire. Je sors de ma réserve habituelle et ose porter devant vous un discours dans lequel je m’inclus absolument. Depuis plusieurs semaines, dans le cadre de ma fonction de rabbin, j’ai été le destinataire de critiques acerbes vis-à-vis d’un climat délétère qui a été rencontré dans notre Communauté et à la synagogue. Toute société est amenée à des fluctuations, à des évolutions diverses et variées. Toutefois, justement parce que la Synagogue, c’est la maison d’Hachem, il convient de ne pas accepter comme « normales » ces évolutions négatives mais avoir le courage de désigner le phénomène, de le nommer et d’amener tout le monde à « faire le ménage » en soi – j’insiste : en soi - pour que revienne le climat de construction inhérent à l’existence même du lieu et de la communauté. Ça n’est pas une faiblesse que de porter ce discours hors des murs. C’est au contraire une grande force que d’assumer notre part, chacun la sienne, dans tout ce qui a conduit les choses à en être arrivées là. Pour cette raison, le propos ne saurait être, D_ieu préserve, accusateur envers quiconque. Bien au contraire, c’est la volonté de bâtir et de bien bâtir qui articule notre volonté à porter ce discours devant tous. Chacun devra méditer cela et je m’inclus absolument dans cette dynamique de réflexion et d’action à laquelle tout le monde est invité. Je suis moi aussi responsable de ce sentiment qui est ressenti et, personnellement, je fais en premier lieu cet examen de conscience que me recommande la conscience. Car je fais partie de la Communauté ou en reprenant les mots de la Shounamite au prophète Elisée « A l’intérieur de mon peuple, je suis assise. »
Toutefois, devant ces propos qui me sont parvenus de diverses sources, devant un certain manque de communication, devant des incompréhensions qui ont engendré des malentendus, devant enfin, des paroles qui participent du « Lachon Hara », de la « parole mauvaise », je ne serai pas dans mon rôle si je n’avais le courage de porter ces mots devant vous. Soyons clair et si je me répète, c’est pour la bonne cause. Je ne vise qu’un objectif : la construction et l’essor de notre Communauté. Il ne s’agit pas d’enfoncer qui que ce soit. Nous avons toutes et tous le devoir d’entendre ce constat et de faire un juste examen de conscience. Puisque des personnes se sont senties mal, puisque certains ont été blessés voire, et cela suffit à alerter, ont été déconsidérés, ces questions, nous avons le devoir de nous les poser : avons-nous suffisamment montré à l’autre, notre prochain, notre voisin, de la considération et de la compassion ? N’aurions-nous pas eu un jour une certaine négligence dans la manière de dire une vérité, ce qui aurait engendré, parce que nous nous serions trompé dans la forme, que le fond, pourtant vrai, n’ait pu être entendu ? Ces questions retentissent en moi et c’est en vertu de ce fait que je me permets de vous les poser aussi.
Et en réalité, lorsque l’on parle de son prochain, c’est aussi de soi que l’on parle. Parce que nous sommes le prochain de notre prochain. Et à mal considérer l’autre, c’est un boomerang qui risque de nous revenir au visage. Durant le mois d’Adar et à l’approche de Pourim, à une époque où nous avions été tous visé par un tyran, Hamann, c’était avant-hier ; ou encore lorsque Hitler a tatoué dans notre chair la dénégation de notre existence, c’était hier, nous avons le devoir de revenir à ce qui est au fond de nous : notre cœur. Je parle ici du cœur pur, du cœur entier, du regard de bienveillance que nous savons porter. Je parle des mains qui serrent les mains et des bras qui enlacent. Je parle de la pureté la plus belle que je sais présente à l’intérieur de chacune et chacun d’entre vous. Je parle des bouches qui disent les choses du cœur et des cœurs qui font murmurer les lèvres. Je ne parle pas du passé, le passé n’est plus. Je parle du présent et je parle de l’avenir. Je parle de construction, je parle d’édifice, je parle de l’âme. De l’âme de ce lieu, notre très belle synagogue et l’âme de notre Communauté. Toutes ces choses disent l’amour, tous ces éléments disent les qualités d’Israel « miséricordieux, modestes et qui dispensent les bontés. » C’est cela qui nous unit, c’est cela qui fait notre force. C’est cette force que Hamann a voulu exterminer et ce projet qu’Hitler a presque accompli.
Hamann et ses dix fils ont été pendus, à Shoushan, à Nuremberg. Le Troisième Reich n’est plus, non pas piétiné par des bottes noires et mordu par des chiens sur de froids quais de gare. Le Troisième Reich est mort parce qu’Israel a lutté avec sa bouche, avec son cœur, avec son esprit, avec ses mains, et a rappelé à l’Humanité - qui, tandis que certains ont voulu voir le projet d’Hitler se réaliser et d’autres, plus nombreux, ont pêché en omettant de condamner -, qu’il fallait encore et encore réfléchir, encore et encore consulter le cœur et l’esprit. Ceux qui n’ont pas condamné ont autorisé le mal. Condamner le mal, c’est accepter de se remettre en question, c’est accepter de se dire que, pour que se fasse la victoire d’Esther et de Mardoché sur Hamann, il a fallu d’abord porter les cendres sur la tête et jeûner durant trois jours. Cela, c’est la véritable force d’Israel. Sa remise en question, son introspection. Israel sait depuis toujours que, hormis l’ennemi bien visible qu’il a face à lui et contre lequel il lutte, il en est un autre avec lequel il doit aussi mener le combat : c’est lui-même. Le fait de déconstruire les croyances, de revenir sur ses acquis, de reprendre les choses depuis les fondations, cette attitude c’est celle qui a permis que soient érigées de plus grandes institutions, que soient révélées de plus subtiles découvertes. C’est aussi cette attitude qui permet à l’un de trouver une place pour l’autre. Cela porte un nom : ça s’appelle l’humilité.
C’est certainement de cette manière que l’on peut comprendre un verset célèbre écrit, dans notre Paracha, à propos du Temple : « Et ils feront pour moi un sanctuaire, et je résiderai en eux » (25 :8). Ce verset semble contenir une anomalie grammaticale. Lorsqu’ « ils feront pour Moi un sanctuaire », nous aurions dû trouver en suite « et je résiderai en lui. » Or l’Ecriture dit « en eux. » Nos Sages expliquent que dès lors l’intention, dans la construction du sanctuaire, est de le faire « pour Moi », à savoir pour Hachem, ça n’est pas juste en Lui que se manifestera la présence divine mais bien « en eux », « à l’intérieur de chacun » pour reprendre les mots du Talmud. Cela figure dans le mode d’emploi du sanctuaire érigé il y a 3300 ans. Mais la formule reste inchangée pour nos synagogues et nos communautés depuis. Cela est le véritable objectif de ces lieux comme cela a été celui de la « maison mère », le Mishkan.
C’est alors, lorsque l’on agit à l’instar de D_ieu qui « sonde les cœurs et les reins », nous percevons l’amour au fond de nous, et apaisés, nous trouvons la place pour l’autre. La joie de Pourim, la vraie, l’authentique, participe de cela. Vouloir qu’un projet prenne forme ensemble et ne soit pas un melting-pot des égos, ne peut se faire qu’avec la conjugaison des individualités.
Alors, nos yeux lavés par l’humidité qui, un temps les a voilés, nous permettent de découvrir que, au fond de nous, ce qui est inaltérable et inattaquable, notre Néchama, nous enjoint à porter sur les autres et sur nous-mêmes ce qui constitue selon les Maximes des Pères, la plus grande des vertus, « Lèv tov », un cœur bon.
Chabbat Chalom
Binyamin AFRIAT