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SAMEDI 27 NOVEMBRE 2021

SAMEDI 27 NOVEMBRE 2021 - Vayéchev, une étude de la fraternité

Vayéchev, une étude de la fraternité

 

Une des difficultés qui se présente, lorsque l’on désire raconter la Paracha, c’est de devoir choisir entre le récit dans sa globalité ou de ne projeter la lumière que sur un épisode ou un détail. Difficulté accrue puisque nous savons pertinemment que, comme son nom l’indique, le détail appartient à l’ensemble. Tentons toutefois de nous focaliser sur un point qui est un tout. Une des difficultés qui se présente, lorsque l’on désire présenter la Paracha, c’est de devoir choisir entre le récit dans sa globalité ou de ne projeter la lumière que sur un épisode ou un détail. Difficulté accrue puisque nous savons pertinemment que, comme son nom l’indique, le détail appartient à l’ensemble. Tentons toutefois de nous focaliser sur un point qui est un tout. 

Depuis Lè’kh lé’kha où Abraham, le personnage, est apparu, nous suivons, de section en section, ces autres acteurs que sont Isaac et Jacob. Seuls ces trois-là sont des Pères. Après eux, on ne parle plus que de fils : les fils de Jacob dont il est question dans notre Paracha, Vayéchev (Genèse 37 :1 – 40 :23) ainsi que dans les sections suivantes et plus globalement, les enfants d’Israel, au sens de la nation qu’ils vont devenir. Le changement de paradigme est flagrant et se ressent dans le vécu des personnages. Les Pères avaient une stature qui se suffisait à elle-même – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’était pas en construction – et leurs enjeux tournaient autour de personnages extérieurs à eux. Même Jacob, dans sa confrontation à Esaü, ne vivait pas de remaniement de son être mais voyait sa doctrine existentielle – lire : existe-en-ciel -contrecarrée par celle de l’existant (existe-temps) Esaü. Le verset le dit bien lorsqu’il affirme qu’Esaü était « un homme des champs », tandis que Jacob « résidait dans les tentes » (25 :27). De leur fraternité génétique originelle, chacun d’eux aura troqué l’étiquette de « frère de » pour adopter un espace où respectivement, chacun se passait de l’autre : le champ pour Esaü, la tente pour Jacob. 

A propos des fils, le mouvement est différent. Ceux-là sont des frères et dans l’acception même du terme figure l’autre qui les fait exister :  on ne peut être le frère de soi-même. Chaque frère a besoin de l’autre pour garder ce titre. Ils sont donc intimement liés et tributaires les uns des autres. Sur la base de ce postulat, on peut saisir la raison selon laquelle, dès qu’ils apparaissent, nait le conflit. Ainsi le verset qui dit que « Joseph était avec ses frères, berger du troupeau » peut se lire « Joseph, berger de ses frères ». Et en tant que tel « il médisait leur mal à leur père » (37 :2). Comme s’il lui était donné un droit de jugement de ses frères. « Jacob qui aime Joseph de tous ses fils » (37 :3) au point de lui faire « une tunique à rayures » - ce qui est admissible dans la dimension père-fils qui sous-tend que l’on puisse faire de son fils un fils unique même s’ils sont plusieurs puisque, pour exister, le fils n’a besoin que du père, non du frère – cet amour-là donc est perçu comme une injustice puisque « les frères virent qu’il était aimé de tous ses frères » (37 :4). En tant que membre d’une même fratrie, le favoritisme de Jacob à l’endroit de Joseph ne passe pas. 

Cette toile de fond, ce sentiment patent se ressentent avant même que Joseph fasse ses fameux rêves. Alors lorsqu’en plus il voit dans ses rêves (dans ses ambitions ?) ses frères se prosterner à lui, la haine déjà présente se décuple. Le relevé de ce terme, frère, tout le long de la Paracha est riche en analyse et en complexifie la relation. Même de Juda dont l’histoire avec Tamar sa belle-fille étonne à première vue, il est dit « qu’il est descendu d’avec ses frères » (38 :1). Comme si cette séparation d’avec eux avait favorisé son erreur, celle que plus tard, il eut la grandeur de reconnaitre (38 :26). 

Reste à comprendre, quelle est la fraternité possible ? Comment deux êtres sortis de la même matrice et désirant vivre, c’est-à-dire exister pleinement, peuvent-ils affirmer tout leur potentiel sans empiéter l’un sur le terrain de l’autre ? La première fraternité mentionnée dans la Torah n’est-elle pas celle d’un homme qui tue son frère (cf. Cain et Abel)? 

La difficulté est admise. Il semble pourtant que la solution se trouve dans un verset de cette Paracha, laquelle. Alors que ses frères étaient allés faire paître le troupeau, Joseph, sur l’ordre de son père va les trouver. (Serait-ce une forme de rédemption de la part de Jacob qui, après avoir gardé auprès de lui son fils bien-aimé et ayant réalisé que cela ait pu causer un sentiment de jalousie auprès de ses autres fils, il ait accepté de restituer Joseph à ses frères ? Prenons la liberté de le voir ainsi, ne serait-ce que pour l’idée qui s’en dégage.) En chemin, il croise un homme qui lui demande ce qu’il recherche. Joseph prononce une phrase grandiose : « Mes frères, je les recherche, dis-moi où font-ils paitre le troupeau ? » (37 :16) Mes frères, je les recherche. Que cette phrase retentisse ! L’idée est là. Il faut chercher à dépasser la relation innée du frère juste parce que nés tous les deux de la même mère, et explorer de nouvelles pistes afin que soit acquise une fraternité nouvelle. L’effort de recherche de l’autre, la volonté de découvrir La fraternitéderrière le frère est porteuse de l’espoir que ces deux-là pourront réussir à sublimer ce qui les condamne et atteindre la juste place, celle où chacun en aura fait pour l’autre. 

Cette démarche n’est pas sans rappeler une autre fait marquant, cette fois avec Moise. Il est dit de celui-ci, alors qu’il jouissait d’un statut privilégié au palais de Pharaon « Moise, ayant grandi, sortit vers ses frères et vit leurs souffrances » (Exode 2 :11). Voyons ici une relation de cause à effet : c’est parce qu’il sortit vers ses frères qu’il réalisa leurs difficultés. D’en soi, il est impossible de les voir. Cette démarche est celle de celui qui a saisi quelle est sa place en tant qu’Homme : vers l’autre. 

Dans cette trajectoire, on peut relever un autre fait de frère, toujours dans la Paracha. Lorsque les fils de Juda naissent, celui qui devait naitre second, Pérèts, s’impose devant Zéra’h pourtant engagé. L’Ecriture dit que c’est lorsque Zéra’h « avait ramené sa main » que « voilà que son frère sortit » (38 :29). Le risque de rupture est couru quand l’un des frères ramène sa main. Lorsque symboliquement la main qui permet de prendre l’autre par la main ne veut pas assumer cette capacité qui est un pouvoir, c’est alors qu’il devient possible pour l’autre que soit dit de lui « avec quelle violence tu te fais jour ? » (Idem). 

En guise de conclusion, une invitation à la réflexion. A une époque où le mot « frère » est complètement dévoyé, qu’il est employé à tout va sans que soit ressentie la dimension fraternelle, la Torah rappelle les enjeux spécifiques qui se posent devant les frères – qui à tout le moins sont frères en humanité - et retient que, pour que s’exprime la juste fraternité, celle dont se réclame la France dans sa devise aussi, il est impératif de se mettre en recherche de l’autre. Le frère inné n’est pas frère ainé. C’est plutôt le frère né, celui que l’on a fait naitre en soi, qui l’est.   

Chabbat Chalom

Binyamin Afriat

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