top of page

SAMEDI 28 AOÛT 2021

SAMEDI 28 août 2021 - Ki Tavo ou le pouvoir du moment présent*

La Paracha de cette semaine, Ki Tavo (Deutéronome 26 :1 – 29 :8) est célèbre pour son passage le plus long, celui dit des « to’hakhot », des remontrances. Leur lecture a quelques jours de Roch Hachana résonne évidemment comme un rappel à l’ordre. Cependant, dans la démarche d’introspection qui est évidemment majeure durant cette période, il convient de ne pas confondre deux notions, la peur et la crainte. Il ne s’agit pas d’avoir peur de D_ieu mais de le craindre.  Ainsi nous ne disons pas d’une personne pieuse qu’elle est investie de « pa’had chamayim » de « peur du Ciel » mais de « Yir’at chamayim », de « crainte du Ciel. » Cette nuance est primordiale. Car alors que la peur tétanise et bloque toute action – bonne et mauvaise – ce qui n’est pas l’objectif, la crainte elle, conduit à appréhender la mission avec le recul approprié et la dynamique permettant sa réalisation.  Le titre de la Paracha « Lorsque tu viendras » qui est la traduction de Ki Tavo interpelle l’être humain et l’invite à venir. Ou à revenir. Parce que fatalement on se sera éloigné. Le retour devra donc s’opérer dans trois dimensions : vers l’autre, vers D_ieu, vers soi. Chacun de ces secteurs mérite que l’attention soit accrue. Et comme à chaque fois, la démarche ne consiste pas à un grand bouleversement global mais à de petits changements mesurés et assumés. La dynamique du changement tangible, c’est celle de la Téchouva, du Retour.

Mais la Paracha s’ouvre sur un tout autre sujet, à priori sans lien avec celui déjà mentionné. Lorsqu’un propriétaire terrien, en Israel, possédant deux arbres fruitiers au moins, parmi les sept espèces d’Israel, il devait amener au Bet Hamikdach, au Temple, le premier fruit de chaque arbre. Au préalable, dès la pousse, il aura mis un fil rouge sur le premier raisin, ou la première figue par exemple et ceux-là mêmes, une fois mûrs, étaient conduits dans une grande procession joyeuse à Jérusalem. Le passage des porteurs des Bikourim, des prémices, donnait lieu à un accompagnement en musique par la population. 

Un détail pourtant étonne. Il est dit : « Tu te présenteras au Cohen qui sera là durant ces jours et lui diras : je viens reconnaitre en ce jour, devant l’Eternel ton D_ieu que je suis installé dans le pays que l’Eternel avait juré à nos pères de nous donner » (26 :3). Eh quoi ! est-il possible de se présenter devant le Cohen (pontife) d’une autre époque ? Que signifient les mots « qui sera là durant ces jours » ? Les commentateurs se penchent sur la question et discutent entre eux. Selon Na’hmanide (Gérone1194 - Acre1270) , il ne fallait pas amener un Cohen avec soi, sorte de Cohen de famille, mais présenter les fruits au pontife de service. Pour Rabbi Ovadia Sforno (CesenaItalie1470 - Bologne1550), le Cohen tel quel, même s’il n’était pas sage, devait officier à l’accueil des prémices. Pour ces deux maitres, le pontife présent durant ces jours ne vient pas exclure celui d’une autre époque mais un autre qui aurait pu sembler plus adapté. 

Cependant c’est sur la lecture de Rachi (Troyes, 1040 – idem, 1105) que nous nous arrêterons. Ainsi : « tu n’auras que le Cohen qui vit à ton époque, tel qu’il est. » Cette lecture est en résonnance avec une explication similaire sur un verset du même acabit. Lorsqu’il est dit de consulter « le juge qui sera là en ces jours » (17 :9) Rachi commente : « même si ce juge n’est pas comme ceux qui l’ont précédé, tu dois l’écouter ; tu n’auras que le juge vivant à ton époque. » Et c’est en fait ce que dit le Talmud (Roch Hachana 25b) « Jephté dans sa génération vaut Samuel dans la sienne » et qui conclut en citant l’Ecclésiaste : « Ne dis point : « D’où vient que les temps passés valaient mieux que le présent ? » Car c’est manquer de sagesse de poser cette question » (7 :10). De tout cela il ressort que la nostalgie visant à nous éloigner de la réalité est condamnable. Toutes ces voix qui se lèvent pêlemêle et disent : « avant, c’était mieux », « De Gaulle n’aurait jamais laissé faire ça » ou, plus concrètement, « Macron a faux sur toute la ligne », ce brouhaha qui résonne tous les jours et peut-être par nos faits aussi, ce brouhaha n’a pas lieu d’être. Non, la réalité c’est le pntife et le juge qui se tiennent devant nous, tels qu’ils sont. C’est avec eux qu’il faut composer et agir surtout. 

Une petite anecdote s’est produite au moment de la rédaction de ce texte. Lorsque j’ai voulu écrire le mot pêlemêle suscité, j’ai eu un doute sur l’orthographe. Mais ce dont j’étais sûr, c’est qu’il comportait un trait d’union. J’ai pourtant été stupéfait de découvrir que le mot pouvait être écrit ainsi. Mon premier élan a été de vouloir garder, en tant que défenseur de la langue, l’orthographe d’origine. Mais alors, je me suis senti en porte-à-faux avec le message même du texte et ai accepté de laisser s’échapper le mot afin de conserver le message… Oui, le progrès peut parfois être taxé de régression mais il n’empêche, nous n’avons d’autre choix que de vivre à l’intérieur de notre époque. (Précision. Sauf lorsque le progrès vise à s’ébrouer de ce dont il n’a pas le pouvoir : de la parole divine. C’est simple : l’humain ne peut pas réformer le divin. Il peut et doit réfléchir aux moyens de vivre dans son époque avec ce message éternel mais ne peut proposer de gommer ce qui le dérange.)

Reste à savoir pourquoi, précisément dans ce commandement des prémices, la Torah a choisi de nous transmettre ce message. Il me semble que cela peut se comprendre aisément. En prenant de la hauteur, nous comprenons que par elle, nous sommes renvoyés à la notion même du renouvellement. Symboliquement, ce nouveau fruit nous engage à réfléchir à ce qui, dans nos vies, mérite d’être renouvelé. Et pour que le renouveau s’établisse, il faut nécessairement passer par l’acceptation du présent. Si le regard est toujours porté sur le rétroviseur, non-seulement il y a danger pour le conducteur, mais il y a surtout la certitude de ne pas atteindre la destination. Il ne s’agit pas de condamner la nostalgie ni de blâmer les regards perdus devant nos photos d’enfances. Mais il convient de s’extirper des carcans psychologiques qui, parce que soutenus souvent par les « c’est lié à son enfance » ou les « avec ce qu’elle a traversé, elle ne pouvait pas faire autrement » nous empêchent réellement de produire le meilleur de nous-même, c’est-à-dire de nous produire nous-même sur les planches de la vie. 

L’heure est arrivée d’allumer les projecteurs. Mais alors qu’il a semblé aisé et juste de diriger jusqu’à présent le faisceau sur les autres, il convient aujourd’hui de le diriger vers soi. 

 

Chabbat Chalom 

Binyamin AFRIAT 

*Eckhart Tollé j’espère, me pardonnera l’usage du titre de son best- seller que j’ai trouvé approprié pour introduire le propos de ce texte.

bottom of page