SAMEDI 28 MAI 2022
SAMEDI 28 MAI 2022 - Bé’houkotaï – בחקותי - Où est-ce, l’au-delà ?
Bé’houkotaï – בחקותי
Où est-ce, l’au-delà ?
La Paracha Bé’houkotay (Lévitique 26 :2 – 27 :34), réputée pour son passage central, celui dit des « réprimandes » (to’ha’khott) commence d’abord par promettre des bénédictions. Il y est dit en effet qu’en faisant le choix de « marcher dans les préceptes de D_ieu et d’observer Ses commandements » alors « les pluies seront données à temps…, l’on mangera du pain à satiété… et l’on vivra en sécurité et en paix sur nos terres. » « On poursuivra nos ennemis qui succomberont sous le glaive » etc. Ainsi la Torah, dans les premiers versets de la section, énumère bon nombre de bienfaits à ceux qui auront cure de la parole de D_ieu.
Ce qui étonne ici et qui questionne l’ensemble de la Torah, c’est l’absence de mention de récompense dans l’au-delà. En effet, toutes les bienfaits promis ne sont que terrestres : les pluies en leur saison, l’abondance des récoltes, la sécurité matérielle, la supériorité sur les ennemis etc. Pourquoi la Torah ne mentionne-t-elle pas la félicité éternelle et la récompense réservée dans le Olam haba (Monde à venir) qui est pourtant promis par la Michna (TB Sanhédrin 90a) ?
Cette question, le Kli Yakar (1550 - 1619) la conduit en relevant un commentaire de Rachi sur un des versets de la Paracha, lequel se trouve à la fin de la séquence des bénédictions. « Je marcherai au milieu de vous et serai pour vous un D_ieu. Et vous serez pour Moi un peuple » (26 :12). La marche de D_ieu au milieu de nous consiste à « la promenade que fera Hachem avec nous dans le Jardin d’Eden » (Rachi). Cette mention du Jardin d’Eden, dit le Kli Yakar, vient à écarter la pensée selon laquelle, seule existe la vie terrestre, non celle dans l’au-delà ; observation possible compte tenu du fait que les bienfaits immatériels, promis dans un au-delà, ne sont pas mentionnés dans la Torah. C’est donc ça la précision de Rachi qui parle de la proximité de l’Homme avec D_ieu survenant dans un ailleurs, qualifié de Jardin d’Eden et qui est un lieu de félicité spirituelle.
A l’aune de cette observation préliminaire, l’exégète va citer ici sept raisons pour lesquelles la Torah a délibérément fait le choix de dissimuler l’existence du « monde à venir. » Les voici succinctement ; détails et références sont à retrouver dans le texte original.
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Pour Maïmonide, c’est parce que l’Homme doit servir son Créateur dans un état d’esprit dit « lichma », c’est-à-dire dénué d’intérêt personnel ; il a donc fallu omettre délibérément la réalité du salaire. Quant aux bienfaits terrestres eux dûment cités et semblant infléchir la dynamique dans le Service, ils ne sont pas le bénéfice réel mais « la mise à l’écart des facteurs empêchant. » La promesse de la Torah n’aura donc pas porté sur la finalité de la destinée mais sur le moyen de la rendre possible.
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Selon Ib’n Ezra, c’est dû à la complexité du concept. En effet, le sujet du monde à venir n’est appréhendable que par « un homme parmi mille » puisque « le matériel ne peut saisir le spirituel. » Or la Torah, étant destinée à tous, se doit d’avoir un discours compréhensible par « la multitude qui a l’esprit court. »
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Pour Rabbénou Ba’hyé, la réponse se situe dans la déconstruction de la question. Selon lui, le salaire édicté par la Torah, celui inscrit dans la réalité de la nature, c’est celui-là même qui est contre-nature. Comment concevoir, de manière rationnelle justement, que les pluies tombent grâce à la réalisation des commandements Divins et cessent d’arriver à cause de leur non-réalisation ? Cette approche, c’est celle précisément qui relève du miraculeux. En revanche, que l’âme retrouve sa place dans l’au-delà duquel elle est extraite, est une notion qui se saisit plus logiquement. Et cette facette est bien présente dans la Torah. En effet, à travers le châtiment dit du « retranchement » (karètt) destiné à qui aurait commis certaines fautes graves (et ne se serait pas repenti), se comprend que la bonne conduite amène l’âme à retrouver sa place dans son support naturel qui est cet au-delà dont parle la Torah Orale.
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Selon le Kouzari, il s’agit de promettre à l’Homme un salaire tangible. Ce, afin de démontrer l’existence de la hashga’ha, notion qui peut s’expliquer comme « la mainmise de la Providence dans les faits des individus. » En effet, les humains se voyaient alors (et certains, aujourd’hui encore) sous la houlette du déterminisme, écartant le lien de causalité existant entre le faits et les destinées. Afin de supprimer cette fausse croyance et d’installer dans les esprits le rapport de cause à effet, la Torah a promis à ceux qui la respectent des bienfaits terrestres, à savoir visibles et opposables à la réalité. En revanche si, comme dans les autres religions, la récompense annoncée d’une vie bien menée avait été la vie éternelle dans une dimension métaphysique, l’humanité serait restée dans sa mécréance, ne pouvant confronter la cause – la bonne action par exemple – à l’effet – la récompense dans l’au-delà. Or il est bien connu que « Qui désire mentir éloigne ses témoins. » Voilà pourquoi le salaire promis se devait d’être visible, à savoir : opposable. Evidemment celui-ci n’écarte pas la vie dans l’au-delà dont la Torah orale est emplie. (1-)
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Pour Saadia Gaon, il fallait répondre à une attente. Le culte idolâtre annonçait jadis les bienfaits terrestres, les pluies, les récoltes etc. Avec l’avènement de la croyance dans le D_ieu-Un, il a fallu que celle-ci promette les « acquis » qu’offraient (ou plutôt que disaient offrir) les croyances idolâtres. En revanche, ces-dernières ne vouant pas l’Homme aux bienfaits dans l’au-delà, la Torah qui pourtant les inscrit totalement dans la dynamique de la raison de la descente de l’Homme sur terre, n’a pas eu à le signaler explicitement car il n’y avait pas là de fausse croyance à suppléer.
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L’Ecriture qui dit « …et je placerai mon sanctuaire parmi vous… Et je marcherai parmi vous », (26 :11-12) affirme la volonté d’Hachem de s’attacher à Israel, dès ce monde ci, malgré le fait que l’Homme soit engoncé dans la matérialité, ce qui constitue la gageure d’ailleurs. Et à fortiori que ce lien s’établira dans l’au-delà, une fois l’être débarrassé de son enveloppe corporelle. Par ce raisonnement, il devient superflu pour la Torah de mentionner l’au-delà et ses bienfaits, selon le RaN.
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Pour le « Livre des Principes » (Sefer haIkarim), la Torah a mentionné les bienfaits terrestres parce que ceux-ci concernent l’ensemble de la nation, selon le principe qui affirme que « le monde est jugé selon sa majorité. » En revanche le salaire de l’âme, étant plus spécifique puisque relatif aux actions de chacun, l’Ecriture a choisi de dissimuler cet aspect qui n’est pas le sort égal de tous.
Le Sforno, après avoir évoqué ces sept opinions – qui méritent d’être analysées chacune à la source puis comparées entre-elles pour la mise en exergue des différences - conclut son propos par les paroles suivantes, citées en substance.(2-)
« Par ces sept chemins s’enfuiront ceux qui s’attaquent à notre sainte Torah. De plus, nous avons bien vu combien grand fut l’amour d’Hachem envers Abraham, Isaac et Jacob. Or si leur réussite terrestre était l’aboutissement, pour eux, de toute réussite, quel serait l’avantage d’Abraham sur Nimrod le mécréant, lui qui a régné sur le monde, tandis qu’Abraham a été nomade toute sa vie, se déplaçant d’un peuple à un autre. » Pareil pour Isaac et Jacob, c’est à leurs descendants que l’avantage a été donné, non à eux personnellement. Or quel est donc l’intérêt de savoir, qu’après eux, leurs descendants vont hériter du pays promis, alors qu’eux-mêmes « sortent de ce monde les mains vides malgré tout leur labeur ? » Et même lorsqu’Israel réside paisiblement dans son pays, cette paix n’est que celle qu’auront connu d’autres peuples, à d’autres époques (et parfois pour ces derniers, à des degrés plus élevés). Elle n’est donc pas suffisamment notable pour fournir une récompense digne de ce nom. « Force est de conclure que les grands bienfaits réservés aux justes, c’est le sort des patriarches et de leurs descendants, une seule Torah s’exerçant pour tous. »
1-Dans un souci d’honnêteté, on ne peut pas ne pas mentionner ici la question qui se pose sur cette explication, celle de l’apparente injustice Divine où l’on voit le juste souffrir et le mécréant jouir de la vie. Toutefois, dans le contexte de l’explication donnée, ce problème qui en soi, est éminemment épineux, reste marginal ici du fait de la marginalité du phénomène. En effet les cas avérés de justes qui souffrent restent la minorité ; quant aux mécréants qui réussissent, c’est bien souvent imputable aux mérites qu’ils ont malgré tout.
2-Il semblerait que, par humilité, eu égard aux sept opinions émanant d’éminents Sage, le Sforno ait choisi de ne pas présenter son opinion comme la huitième. Toutefois, le raisonnement qu’il fait ici est limpide et est peut-être plus parlant que les démonstrations précédentes.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat