SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 - לך לך - Lekh Lékha - Moi et l’Autre, conflit ou complétude ?
A plusieurs reprises, Hachem a parlé aux patriarches concernant leurs descendants en les comparant aux étoiles et à la poussière de la terre. Dans cette Paracha, Lekh Lékha, les deux mentions figurent. Il s’agit de promesses faites à Abraham.
« Je rendrai ta descendance semblable à la poussière de la terre ; tellement que, si l'on peut nombrer la poussière de la terre, ta descendance aussi pourra être nombrée. » (Genèse 13 :16)
« Il le fit sortir en plein air, et dit : "Regarde le ciel et compte les étoiles : peux-tu en supputer le nombre ? Ainsi reprit-il, sera ta descendance." (Ibid. 15 :5)
Plus loin, dans la section suivante, c’est encore à Abraham qu’Hachem dit :
« Je te comblerai de mes faveurs ; je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer et ta postérité conquerra les portes de ses ennemis. » (Ibid. 22 :17)
Il s’agit de comprendre le sens de ces promesses. D’emblée, il faut évacuer un sens qui est pourtant répandu, celui concernant la multitude des individus d’Israel. Il est évident, en effet – l’Histoire l’a montrée - que la promesse ne porte pas sur le nombre des enfants d’Israel durant toutes leurs époques. De plus ni les étoiles, ni le sable ne sont nombrables. La Torah n’a donc pas pu vouloir donner une précision numérique concernant les descendants d’Abraham. Enfin, l’Ecriture elle-même affirme le contraire :
« Si l'Éternel vous a préférés, vous a distingués, ce n'est pas parce que vous seriez plus nombreux que les autres peuples, car vous êtes le moindre de tous. » (Deutéronome 7 :7)
Quel est donc le sens de cette comparaison ?
Pour répondre, il faudrait étudier chacune des occurrences et le contexte dans lequel elles ont été dites. Toutefois, nous pouvons citer ici certains des commentateurs habituels, ce qui permettra déjà d’alimenter la réflexion.
Rachi dit : « De même qu’il est impossible à la poussière d’être nombrée, ainsi ta descendance ne sera pas nombrée »(Genèse 13 :15).
Il n’est pas dit ici que la descendance d’Abraham ne sera pas nombrée à cause de son importance numérique mais simplement que l’on ne les dénombrera pas. Toutefois Rachi n’explique pas pourquoi ne sera-t-elle pas dénombrée. Il faut donc chercher la raison.
Pourtant une question bien plus pertinente empêche de poursuivre la réflexion : la Torah est remplie de passages dans lesquels nous lisons le décompte des enfants d’Israel. Il y en a tellement qu’il n’est pas nécessaire de les citer. La question n’est donc plus « Pourquoi ne sont-ils pas dénombrés ?» mais « Comment le verset se combine-t-il avec la réalité historique ? »
Avant de tenter d’apporter un élément de réponse, élargissons le spectre des éléments en présence. Une évidence apparait : la comparaison n’est pas quantitative mais qualitative. Ainsi « Israel sera dispersé sur toute la terre comme la poussière est dispersée. » Egalement « De même que sans terre, point d’arbre ni de récolte, ainsi ‘sans Israel, le monde ne peut pas tenir’ » (Rachi, version première, édition Hamaor). Ces déclarations doivent être comprises non pas comme une supériorité d’Israel sur les nations mais comme la nécessité que le message véhiculé par Israel soit répandu dans le monde. Quel est ce message ? Celui qu’a découvert Abraham : Le monde est un monde créé et le Créateur l’a créé dans un but voulu par Lui. La foi en un dieu unique que découvre Abraham, foi qu’il va faire rayonner autour de lui – ce sont « les âmes qu’ils avaient faites à ‘Haran » (Genèse 12 :5) qui vont le suivre dans son exode -, c’est une doctrine sans laquelle ‘le monde ne peut pas tenir’. C’est également ce que le prophète Isaïe dira plus tard :
« C'est moi qui ai fait les révélations, opéré le salut, annoncé les événements, aucun [dieu] étranger ne s'est manifesté parmi vous. Vous êtes donc mes témoins, dit l'Eternel, comme je suis votre Dieu. » (Isaïe 43 :12)
La révélation dont Israel sera témoin lors du Don de la Torah (Cf. Rachi sur le verset), c’est l’aboutissement de la construction de la foi qui a débuté avec Abraham. Ce message, Israel a le devoir de le répandre, non pas dans le cadre d’une « guerre sainte », démarche agressive et prosélytiste. Il n’y a pas d’ « Israelisation » de l’Autre, il n’est pas d’imposition de sa pensée qui écrase celle de l’Autre. Israel est ce peuple-témoin lorsqu’il fait ce qu’il a à faire. Ni plus, ni moins. Ce faisant, Israel véhicule la tolérance et le respect. Que d’aucuns, à la pensée primitive, veuille y voir autre chose, n’a jamais écarté Israel de sa mission.
A l’aune de ce qui est dit, « ta descendance ne sera pas nombrée » peut se comprendre ainsi. Le décompte des individus qui serait réducteur, celui qui réduirait la spécificité de l’être pour le déshumaniser, qui rabaisserait l’humain à un simple numéro (tatoué sur le bras…), ce décompte n’aura pas lieu. Lorsque, dans son Histoire, le peuple d’Israel a été compté, c’était à chaque fois bar le biais d’un objet (demi-shekel etc.) que cela se passa. C’est d’ailleurs ce que la Torah exige, dans la mesure où un recensement doit avoir lieu :
« Quand tu feras le dénombrement général des enfants d'Israël, chacun d'eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne lors du dénombrement, afin qu'il n'y ait point de mortalité parmi eux à cause de cette opération. » (Exode 30 :12)
Telle est la promesse faite à Abraham. Tel est le message que nous devons véhiculer : chaque être est unique dans le rôle qu’il a à tenir. La résonnance spécifique de chacun, c’est celle-là justement qui va rendre belle la symphonie globale. La détermination que chacun doit avoir à jouer son rôle n’est pas synonyme d’écrasement mais de tolérance. Car même lorsque l’on doit faire des choix qui sont en correspondance avec sa mission, même lorsque « de la main gauche on doit écarter, de la main droite on doit rapprocher » (TB Sanhédrin 107b).
Chabbat Chalom
Binyamin AFRIAT