SAMEDI 19 FÉVRIER 2022
SAMEDI 19 FÉVRIER 2022 - Ki Tissa – כי תשא - Risquer de vivre, serait-ce vivre ?
Ki Tissa – כי תשא
Risquer de vivre, serait-ce vivre ?
Un texte sera toujours lu et saisi, hormis les prémisses traditionnelles, selon la compréhension et la sensibilité du lecteur au moment où il l’a lu. La Torah n’échappe pas à cette règle pourvu que l’on fasse preuve d’honnêteté intellectuelle quant à l’analyse objective du signifiant. C’est en cela aussi que ses lectures y sont plurielles et ses découvertes enchanteresses. Un passage de la section Ki Tissa (Exode 30 :11 – 34 :35) invite à prendre de la hauteur d’avec le texte pour réfléchir, nous le verrons, au mythe d’Icare dans le prisme d’une question brulante.
Après que les enfants d’Israel aient commis le Veau d’or, que D_ieu soit revenu, grâce à la prière de Moïse, de son projet de détruire le Peuple, D_ieu dit : « Et maintenant va, conduis ce peuple où je t’ai dit ; mon envoyé te précèdera etc. » (32 :34). « Mon envoyé » - ou mon ange - et non Moi (Rachi). L’Ecriture le redit quelques versets plus loin : « J’enverrai devant toi un ange, par lequel j’expulserai le Cananéen, l’Amorréen […]. Vers ce pays ruisselant de paix et de miel car je ne monterai point au milieu de toi, puisque tu es un peuple à la nuque roide, de peur que je ne t’anéantisse en chemin » (33 :2, 3). Cet ange, Rachi l’explique comme étant celui qui représenterait l’Eternel qui ne montera pas avec Israel lors de la conquête de la terre puisque « lorsque Je réside parmi vous et que vous vous rebellez, Je multiplie sur vous l’ampleur de mon courroux. » Cela d’ailleurs avait déjà été annoncé plusieurs chapitres avant : « Voici, j’enverrai devant toi un ange, chargé de veiller sur ta marche, et de te conduire au lieu que je t’ai destiné » (23 :20). Annonce qui est, toujours selon Rachi, « présage d’une faute future qui fera dire à la Ché’khina (Révélation Divine) qu’Elle ne montera pas au milieu de toi. » D_ieu annonce donc à Israel, qu’après la faute du Veau d’or, il ne mérite plus d’être accompagné de cette Entité Divine qualifiée de Ché’khina et qu’il va devoir se contenter d’un ange.
Cette annonce attriste le Peuple. D_ieu explique alors que c’est dans l’intérêt d’Israel qu’Il a choisi de se mettre en retrait puisque, étant ce peuple à la nuque roide, il fauterait nécessairement. « Pour cette raison, il est bon pour vous que je diligente un ange » (Cf. Rachi sur 33 :5). Il convient de comprendre que ce qu’Israel a perdu ici n’est pas l’entière Révélation au profit d’un ange qui n’en serait que l’ambassadeur. Mais plutôt qu’aussi importantes que seront les manifestations divines, elles le seront en-deçà de ce qu’elles eurent été si D_ieu avait Lui-même accompagné le Peuple.
Les questionnements que ces textes posent se déclinent de plusieurs façons et entrainent, par capillarité, un faisceau d’idées. Tout d’abord, à propos du sujet lui-même. Qu’est-il préférable ? La présence Divine et le danger qu’elle engage ? Ou alors l’évitement du danger avec celui de la proximité ? Faut-il risquer le choc de la rencontre avec le divin dans la perspective de la passion qui en découlera ? Ou alors choisir de vouloir moins savoir parce que ce savoir engagera à agir ? Le mythe d’Icare interroge aussi. Attiré par la lumière du soleil, Icare doit-il refouler cette attirance au profit d’une sécurité qui serait nécessairement frustrante ? Ou alors doit-il tenter l’aventure de l’élévation au risque de se brûler les ailes ? Répondre par un laconique « Tu as bien vu où ça l’a mené » est trop simple. Et sonne faux, donc. C’est que l’ivresse du grand, du haut, du sublime mérite d’être envisagée pour sortir de sa condition de petite gens. Alors bannir le risque - en entreprise, en politique, en religion, en relations humaines, tant de sujets encore – c’est se suffire d’un immobilisme confortable. Et passer donc à côté de la création et du mouvement. En psychologie, ce serait l’apprivoisement de nos peurs au lieu de leur sublimation.
Ce qui ressort de ce questionnement n’est pas une réponse tranchée mais une question qui tous les jours mérite d’être posée. Pas aux autres. A soi-même. Ça s’appelle : oser.
Mais l’audace exige aussi la présence d’un garde-fou. Car lorsque l’échec est certain, la chute inévitable, le risque un abime, on doit camper sur ses positions. Le maintien en place devient le mouvement approprié. D_ieu qui sait tout, qui sait la faute des hommes, sait aussi que Sa présence accrue au milieu d’eux accroitrait d’autant l’affront qui lui sera fait (au futur et non au conditionnel) lorsqu’ils s’égareront. Lui peut décider pour l’homme ce qui est bon et ce qui l’est moins. Alors il choisit, pour l’Homme, de s’écarter. Comme pour lui laisser une longueur d’avance. Icare savait (ou devait savoir) que les plumes de ses ailes étaient assemblées par de la cire ; il aurait dû alors se garder du feu du soleil qui disloquerait inévitablement ses plumes. Lorsque le risque est oblitéré, que la réalité est tangible, la sagesse commande de demeurer. Ailleurs, partout, l’horizon est la limite. Tenter devient urgent. Entreprendre le changement, l’oxygène des poumons. Être en mouvement, c’est se prouver qu’on vit.
Chabbat Chalom
Binyamin Afriat